La médecine traditionnelle et la médecine moderne ont beaucoup à apprendre l'une de l'autre malgré leurs différences. Priya Shetty analyse sur leurs rapports difficiles.
La médecine traditionnelle (MTR) doit reprendre sa place. Pendant des millénaires, des malades à travers le monde ont été soignés a l'aide de médicaments à base de plantes et de matière animale transmis de génération en génération.
En Afrique et en Asie, 80 pour cent de la population continue d'utiliser des médicaments traditionnels plutôt que des médicaments modernes pour les soins de santé primaires.
Dans les pays développés, la MTR est de plus en plus populaire. Selon les estimations, jusqu'à 80 pour cent de la population s'est déjà essayé à des thérapies comme l'acupuncture ou l'homéopathie. Et une enquête menée au début de cette année a établi que 74 pour cent des étudiants américains en médecine pensent que la médecine occidentale aurait intérêt à intégrer les thérapies et pratiques traditionnelles ou alternatives. [1]
C'est un secteur qui pèse lourd financièrement. En 2005, les ventes de médicaments traditionnels en Chine se sont élevées à US$ 14 milliards. En 2007, le Brésil a vendu des thérapies traditionnelles pour US$ 160 millions, et le marché mondial se chiffre à plus de US$ 60 milliards. [2, 3]
La médecine a besoin de toute de nouveaux médicaments
La vérité est que la médecine moderne manque cruellement de nouveaux traitements. Il faut plusieurs années pour qu'un nouveau médicament franchisse toutes les étapes de la recherche et de la fabrication, ce qui engendre un coût énorme.
La progression de la résistance aux médicaments est en partie le résultat de leur mauvais usage, qui a rendu inutiles beaucoup d'antibiotiques et d'autres médicaments qui sauvent la vie.
Ces deux tendances explique la nécessité pour que les chercheurs et les sociétés pharmaceutiques de trouver de toute urgence de nouvelles sources de traitements, qui se tournent de plus en plus vers la médecine traditionnelle.
Quelques grands succès ont ravivé l'intérêt pour la médecine traditionnelle , qui se révèle etre une source de traitements efficaces et lucratifs. L'artémisinine utilisée dans le traitement du paludisme est l'exemple le plus connu (voir Encadré 1).
Encadré 1: L'artémisinine: Un succès commercial de la médecine traditionnelle
L'artémisinine extrait de l'Artemisia annua ou absinthe chinoise sucrée constitue la base des médicaments les plus efficaces contre le paludisme mis au point à ce jour.
Les chercheurs occidentaux ont eu pour la première fois connaissance de ce composé dans les années 80, bien qu'il soit utilisé depuis longtemps en Chine dans le traitement du paludisme. Mais ce n'est qu'en 2004 que l'OMS a autorisé son utilisation partout dans le monde. Une bonne partie de ce retard était dû au scepticisme concernant ce traitement, et plusieurs groupes de recherche ont passé des années à valider les recommandations des guérisseurs traditionnels chinois.
L'artémisinine s'avère très efficace contre d'autres maladies et a prouvé qu'elle possède un immense potentiel pour le traitement des cancers et de la schistosomiase.
Mais ce remède miracle montre déjà quelques signes d'essoufflement. Des informations en provenance d'Asie du sud-est affirment que le parasite du paludisme a développé une résistance à l'artémisinine chez certaines personnes.
A travers le monde, chercheurs, décideurs politiques, sociétés pharmaceutiques et guérisseurs traditionnels unissent leurs forces pour faire entrer la MTR dans le 21è siècle.
A certains égards, elle y est déjà entrée. Environ le quart des médicaments modernes sont dérivés de produits naturels, dont beaucoup ont d'abord été utilisés dans des thérapies traditionnelles (voir Tableau 1).
Médicament
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Propriétés
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Extrait de |
Utilisé à l'origine dans |
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Artémisinine
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Antipaludique
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Produit à partir d'une plante chinoise, le Qinghao, ou absinthe chinoise sucrée |
La médecine traditionnelle chinoise pour le traitement des fièvres et des coups de froid |
Cromoglycate
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Traitement de l'asthme |
Composé synthétique à base de khelline, principe actif du khella ou ombellifère |
Traitements traditionnels de l'asthme au Moyen-orient. La khelline était également utilisée traditionnellement en Egypte pour le traitement du calcul rénal |
Etoposide
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Anticancéreux
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Synthétisée à partir de la podophyllotoxine produite par la pomme de mai ou prodophylle pelté |
Plusieurs traitements dans les médecines chinoise, japonaise et asiatique |
Hirudine
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Anticoagulant
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Glandes salivaires des sangsues, produites actuellement par le génie génétique |
Remèdes traditionnels utilisés partout dans le monde, de la médecine Shui Zhi en Chine au 18ème Siècle à la médecine européenne au 19ème. |
Lovastatine
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Utilisée pour baisser le taux de cholestérol
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Les aliments tels que les huitres, les champignons et la levure rouge de riz. Utilisée dans la synthèse d'autres composants comme la mévastatine et la pravastatine |
Les champignons sont utilises dans le traitement de nombreuses maladies par la médecine traditionnelle en Chine, au Japon, en Europe de l'est et en Russie |
Opiacés
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Analgésique
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Graines d'opium non mûres
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Utilisés par les médecines traditionnelles arabe, chinoise, européenne, indienne et nord-africaine pour soulager la douleur et traiter plusieurs maladies, notamment la diarrhée, les toux et l'asthme. |
Quinine
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Antipaludique
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Ecorce du quinquina |
Médicaments traditionnels pour le traitement des fièvres et frissons en Amérique latine |
Vinca- alcaloïdes
(vincristine, vinblastine) |
Anticancéreux |
Pervenche rose |
Plusieurs médicaments traditionnels dans le monde, notamment l'utilisation comme antidiabétique en Jamaïque, pour le traitement des piqûres de guêpe dans la médecine traditionnelle indienne, et comme collyre à Cuba, et comme philtre d'amour dans l'Europe médiévale |
Moderniser la tradition
Intégrer véritablement la médecine traditionnelle, c'est-à-dire intégrer ses connaissances dans les soins de santé modernes et garantir qu'elle respecte les normes modernes de sécurité et d'efficacité, n'est cependant pas une tâche facile. Beaucoup de chemin reste a parcourir.
De plus, on observe une préoccupation croissante chez les défenseurs de l'environnement qui craignent que la croissance du marché de la médecine traditionnelle ne soit un danger pour la biodiversité à cause de la surexploitation des plantes médicinales ou d'un usage accru d'une certaine catégorie d'animaux menacés de disparition comme les tigres, les rhinocéros et les éléphants.
Par ailleurs, outre la survie des ressources naturelles, l'intégration de la médecine traditionnelle et la médecine moderne butte sur de nombreux défis qui découlent de différences fondamentales sur la manière dont chacune est pratiquée, évaluée et gérée (voir Tableau 2).
Médecine tradtionnelle |
Médecine moderne |
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Protection des connaissances |
Accès libre
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Fermées, Protégées par des brevets
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Formulation
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Ponctuelle, lors de la consultation avec le malade |
Prédéterminée, et une fois testée par des essais cliniques, elle ne peut être changée à moins d'être testée à nouveau |
Réglementation
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Quasiment aucune, bien que certains pays essaient d'introduire des règles et des normes |
Très stricte, à tel point que l'introdution des médicaments sur le marché coûte aujourd'hui des millions de dollars |
Essai
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Pas d'essai formel puisque les connaissances sur l'efficacité sont transmises de génération en génération |
Essais rigoureux à diverses phases, d'abord l'innocuité et ensuite l'efficacité |
Dosage
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Indéterminé: La dose du médicament peut être approximativement la même, mais l'ingrédient actif (qui représente en réalité le dosage) peut varier considérablement. |
Doses fixes qui ont tendance à ne varier que légèrement en raison de l'âge ou du poids, ou de la gravité de la maladie |
Consultation
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Longue, le malade est par ailleurs interroges sur un grand nombre de sujets autres que les symptômes de la maladie. |
Les consultations en soins primaires et secondaires ont tendance à être brèves et très ciblées, compte tenu surtout de la pression exercée sur les systèmes de santé nationaux. |
Formation
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Les deux systèmes de médecine nécessitent une longue formation qui dure des années, mais avec la médicine traditionnelle, les connaissances sont transmises d'une personne à l'autre au sein des familles, et les praticiens sont souvent issus de familles de guérisseurs. |
Souvent qualifiante: Les professionnels de la santé passent par une formation formelle dans des écoles et universités |
L'une des différences les plus frappantes entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne est la protection juridique des connaissances. Depuis toujours, les tradipraticiens ont librement partagé leurs connaissances et leurs expériences, définissant ainsi la notion de 'libre accès' bien avant l'heure. La médecine moderne, d'autre part, a des lois strictes qui régissent la propriété intellectuelle sur les médicaments et les techniques médicales.
Etant donné que les chercheurs occidentaux se rendent compte de la richesse des connaissances des systèmes de médecine traditionnelle, et que le besoin de nouveaux médicaments devient plus urgent, plusieurs scientifiques ont commencé à étudier les sources locales à la recherche de nouveaux médicaments : une activité appelée 'bioprospection' (voir Biosprospection).
Dans certains cas, les chercheurs ont demandé une protection par brevet de compositions médicinales utilisées depuis des siècles pour le traitement des maladies. Par exemple, le brevet délivré en 1995 pour un antifongique dérivé du neem utilisé dans les médicaments traditionnels indiens. L'Office européen des brevets (OEB) a délivré un brevet au Ministère de l'agriculture des Etats-Unis (USDA) et à la multinationale WR Grace and Company.
Le gouvernement indien a convaincu l'OEB d'annuler ce brevet au motif que le produit avait déjà été utilisé, mais il a fallu attendre cinq ans et dépenser des millions de dollars.
Ce pillage des ressources locales librement accessibles est appelé 'biopiraterie' et constitue un exemple édifiant des défis sur lesquels buttent les efforts d'intégration de la médecine traditionnelle dans la médecine moderne.
Certaines régions ont essayé de résoudre le problème en adoptant des lois de protection des connaissances locales. Par exemple, l'an dernier la région de Cusco au Pérou a interdit l'exploitation des espèces indigènes à des fins lucratives, y compris le brevetage de gènes ou d'autres ressources contenues dans les plantes (voir Peruvian region outlaws biopiracy).
Le Conseil indien de la Recherche scientifique et industrielle (CISR) a adopté une approche plus pragmatique pour résoudre ce problème. En 2001, il a lancé une bibliothèque numérique des connaissances traditionnelles (TKDL). Depuis l'an dernier, l'OEB est en mesure de consulter la base de données multilingue comprenant 24 millions de pages sur les thérapies traditionnelles et les plantes médicinales avant de délivrer des brevets (voir BioMed Analysis: Keep traditional knowledge open but safe).
Plusieurs autres pays ont créé ou envisagent de créer des bases de données similaires pour protéger leurs ressources locales, notamment la Chine, le Ghana, la Malaisie, le Nigeria, l'Afrique du sud, la Tanzanie, la Thaïlande et quelques pays du Moyen-Orient.
Réglementer les médicaments traditionnels
En plus des différences entre les systèmes de connaissances locales et occidentales, les efforts visant à intégrer les médicaments traditionnels doivent également s'adapter aux différences considérables en matière de réglementation.
Chaque pays dispose d'une sorte d'autorité nationale dans le domaine des médicaments, responsable de l'administration et de la gestion des médicaments modernes et de l'élaboration des politiques dans le domaine des médicaments.
Le problème avec la médecine traditionnelle c'est que souvent sa conception varie en fonction des personnes. La meme plante médicinale peut être classée comme aliment, complément alimentaire ou plante médicinale, en fonction de l'endroit où l'on se trouve.
Une enquête menée en 2005 auprès des pays membres de l'OMS a conclu qu'entre 84 et 90 pays (environ 60%) n'ont pas de politique nationale, de lois ou règlements dans le domaine de la médecine traditionnelle (bien que plus de la moitié des pays concernés se proposent de les élaborer). Ce sont souvent les pays où les médicaments traditionnels sont les plus utilisés (voir Figure 1) [5].
Les pays dotés d'une législation en matière de MTR ont quant à eux des approches différentes de l'octroi de licence, de la distribution, de la fabrication et de la vente des médicaments traditionnels.
L'absence de règlementation implique qu'il existe autant de faux médicaments et de faux praticiens que de traitements authentiques. Et cela peut avoir des conséquences irrémédiables. Par exemple, l'an dernier, deux personnes sont mortes et neuf autres ont été hospitalisées après avoir ingurgite un médicament traditionnel antidiabétique qui fait baisser le taux de sucre dans le sang dans la région autonome chinoise du Xinjiang Uygur. [6]
Pendant la majeure partie de la dernière décennie, l'OMS a travaillé à l'élaboration de directives internationales et de normes techniques pour aider les pays à formuler des politiques et règlementations pour le contrôle des médicaments traditionnels.
Les méthodes d'essai
En plus des différences en matière de règlementation entre la médecine traditionnelle et la médecine occidentale, leurs méthodes d'évaluation et de test varient.
Les médicaments modernes passent par une série de tests rigoureux en laboratoire et d'essais cliniques avant d'être mis sur le marché. La médecine moderne a mis au point des méthodes sures pour tester l'efficacité et l'innocuité des médicaments et normaliser les bonnes pratiques en matière de fabrication.
Par contre, très peu de tests scientifiques sont réalisés pour l'évaluation des produits et des pratiques de la médecine traditionnelle. Les tests de qualité et les normes de production tendent à être moins rigoureux ou contrôlés et dans plusieurs cas, les praticiens ne sont pas légalement reconnus ou agréés.
Evidemment, certains chercheurs pensent qu'il n'est pas normal de faire passer un médicament testé sur des milliers de personnes pendant des décennies voire des siècles par les memes étapes qu'un nouveau produit chimique.
Cependant, beaucoup de gens conviennent qu'avant qu'un médicament traditionnel ne soit intégré dans le cadre conventionnel des produits pharmaceutiques, il faut procéder à sa réévaluation.
Dans certains cas, cela signifie qu'il faut procéder à une adaptation des méthodes standards pour résoudre les problèmes éthiques qui ne se posent pas avec le développement classique des médicaments. Par exemple, les chercheurs américains Jon Tilburt et Ted Kaptchuk ont suggéré que les essais cliniques de médicaments traditionnels soient soumis à des règles différentes pour ce qui est de l'éthique de la recherche (voir Encadré 2). [7]
Encadré 2: Règles d'éthique de la recherche pour les essais cliniques de médicaments traditionnels*
1. Un besoin social justifiable pour l'étude
Le bien-fondé de la soumission des médicaments traditionnels à des tests cliniques ne peut pas se réduire au simple fait qu'il existe déjà comme traitement. Il faut qu'il existe à la fois un besoin social et un début de preuve que les effets du médicament ne vont pas contrecarrer ceux d'autres médicaments utilisés dans le traitement de la même maladie. Les différents intervenants peuvent avoir des définitions différentes du besoin social, par exemple, un gouvernement pourrait interdire à tout autre intervenant de commercialiser le traitement et les militants des soins de santé pourraient souhaiter que l'essai clinique serve à produire de meilleurs médicaments.
2. Définitions appropriées des critères d'inclusion et d'exclusion, et évaluation des résultats
Les concepts de santé et de maladie varient entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne. Par exemple, les chercheurs occidentaux classeraient l'insuffisance cardiaque selon la classification de la NYHA (New York Heart Association). Mais les praticiens de la médecine traditionnelle considéreraient l'insuffisance cardiaque comme une déficience en yang chi ou une déficience du rein en yang, classant les malades en fonction d'un examen du pouls ou de la langue. Les chercheurs essayant un médicament à base de plantes contre une insuffisance cardiaque auraient besoin de prendre en compte à la fois des critères de la biomédecine et de la MTR pour que les résultats soient valables dans les deux perspectives.
3. Elaborer un protocole novateur
Les médicaments mis sur le marché en soumettant des médicaments traditionnels à des essais cliniques doivent être rigoureusement testés mais les chercheurs devront réfléchir attentivement à la meilleure façon d'élaborer leur protocole. Les méthodologies standard pourraient ne pas être adaptées à un médicament qui contient un mélange d'ingrédients actifs ou à des médicaments qui varient d'un praticien à l'autre. Néanmoins, les adaptations des protocoles standards pourraient tenir compte de plusieurs de ces questions. Par exemple, les essais contrôles randomisés en grappes peuvent être rigoureux tout en permettant la variabilité en fonction du praticien.
4. Elaborer des normes de sécurité et d'efficacité
La familiarité des médicaments traditionnels, et leur usage répandu, pourraient pousser certains chercheurs à leur attribuer un bon profil de sécurité. Il faut, au début du processus, faire attention à la détermination des exigences de sécurité. [7]
*Tirée d'une analyse éthique effectuée par Jon Tilburt et Ted Kaptchuk.
Des différences intrinsèques
Mises à part les questions d'éthique, il peut s'avérer extrêmement difficile d'appliquer les méthodes modernes, élaborées pour l'essai des médicaments standardisés, à la gamme variée de produits que constituent les médicaments traditionnels.
Plusieurs médicaments traditionnels sont fabriqués par le broyage de feuilles ou d'écorces de plantes ou d'arbres, et le mélange qui en résulte peut contenir des centaines de molécules potentiellement actives. L'identification de ces molécules est assez difficile, tester l'innocuité et l'efficacité de chacune d'elles est pratiquement impossible.
A la différence de plusieurs produits pharmaceutiques modernes, la qualité du matériel source des médicaments traditionnels varie énormément, même à l'intérieur d'un même pays. Ceci est vrai à la fois à cause des différences entre le matériel génétique utilisé et d'autres facteurs variables tels que les conditions environnementales, la collecte, le transport et le stockage.
De même, le dosage varie. Les médicaments modernes exigent des dosages standards qui ont tendance à varier uniquement en fonction du poids du malade ou de la gravité de la maladie. Il est plus probable que les guérisseurs traditionnels administrent à leurs malades une dose unique ou une combinaison de médicaments concoctés seulement pendant la consultation et fondés sur les symptômes que présente le malade.
De mauvais résultats d'évaluation peuvent par conséquent découler d'un nombre de facteurs, allant de l'usage erroné d'espèces de plantes inadaptées à la contamination par des substances toxiques pendant le stockage au surdosage. Cela ne signifie cependant pas que le médicament est exclu de toute possibilité de développement pour etre intégré dans la médecine moderne.
Choc des cultures
De même, si un médicament traditionnel est jugé cliniquement inefficace selon les normes modernes, cela ne signifie pas qu'il ne peut pas fonctionner comme thérapie. Par exemple, l'homéopathie semble marcher malgré des centaines d'essais cliniques qui montrent qu'elle n'a pas d'effet sur le plan biologique. Plusieurs chercheurs pensent qu'il s'agit d'un effet placebo créé parce que les praticiens de l'homéopathie passent plus de temps que les médecins conventionnels à écouter leurs patients.
Mais si l'effet placebo peut être bénéfique, beaucoup pourraient penser qu'il est contraire à l'éthique de prescrire un traitement cliniquement inefficace.
La question de la combinaison des médicaments traditionnels et des médicaments modernes se pose. Le système de croyances qui accompagne la médecine traditionnelle peut parfois faire obstacle aux traitements modernes. En 2009, Kumanan Wilson de l'Université de Toronto, en Ontario, au Canada, et ses collègues ont examiné les obstacles au traitement du paludisme en Afrique dans la revue BMC International Health and Human Rights. [9]
Selon les estimations, rien qu'en Afrique, le paludisme tue un million de personnes, dont plus de 90 pour cent sont des enfants âgés de moins de cinq ans. L'équipe de Wilson a conclu que la dépendance à l'égard des médicaments traditionnels et les croyances culturelles qui y sont associées, comme l'idée selon laquelle un enfant qui convulse est possédé et hanté par des esprits et peut mourir si on l'emmène à l'hôpital, constitue un obstacle majeur au traitement efficace du paludisme.
Dans un certain nombre d'études passées en revue par l'équipe, les personnes interrogées ont déclaré que les thérapies traditionnelles comme les médicaments à base de plantes sont utilisés comme premiers traitements avant de recourir aux médicaments modernes.
Nouvelles techniques, traitements anciens
De nouvelles techniques scientifiques sont également appliquées à la médecine traditionnelle dans la recherche de nouveaux médicaments. Ces approches novatrices se développent à très grande vitesse.
Technique
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Processus
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Pharmacologie inverse
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Les chercheurs commencent par la cible, un composé cliniquement utile, et travaillent en sens inverse pour comprendre sa composition et son fonctionnement. Ce qui peut offrir des indices sur le fonctionnement de certains médicaments, et la partie de l'organisme sur laquelle ils agissent. |
Criblage à haut debit
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Cette technique de criblage de pointe utilise le traitement de données à grande vitesse et des détecteurs sensibles pour réaliser des millions de tests biochimiques, génétiques ou pharmacologiques en quelques minutes. Cette technique peut rapidement identifier des composés actifs qui affectent des réseaux biologiques particuliers. |
Ethnopharmacologie
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Etude systématique de la façon dont des groupes ethniques spécifiques utilisent les plantes médicinales. |
Biologie systémique
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Cette approche holistique vise à comprendre la façon dont différents produits chimiques et les processus métaboliques interagissent dans l'organisme. Puisque les médicaments traditionnels contiennent plusieurs ingrédients actifs, ils peuvent être utilisés pour mesurer la façon dont l'organisme réagit au mélange de composés |
En Inde, le CSIR s'est associé à plusieurs partenaires publics et privés pour réaliser des essais cliniques de produits à base de plantes créés à travers la pharmacologie inverse. Selon cet organisme, cet exercice a débouché sur une plus grande acceptation des médicaments traditionnels ayurvédiques et promet des traitements moins chers, développés plus vite et plus efficacement. [10]
En Afrique, à l'Institut de recherche médicale du Kenya, des scientifiques du Centre de médecine traditionnelle et de recherche sur les médicaments de cet institut testent des milliers de plantes dans l'espoir de trouver un nouvel antipaludique (voir Turning plants into pills in Kenya). L'équipe a trouvé quelques pistes, mais aucune ne s'est avérée suffisamment efficace pour etre utilise comme médicament test.
La médecine traditionnelle gagne du terrain
L'intégration de la médecine traditionnelle dans les systèmes de santé modernes est certainement prise au sérieux par certaines grandes institutions de recherche à travers le monde. En 2007, 62 pays avaient des instituts de médecine traditionnelle, contre 12 en 1970. [11]
Par exemple, aux Etats-Unis, les Instituts nationaux de la santé (NIH) abritent le Centre national de médecine complémentaire et alternative (NCCAM), qui cette année, est dotée d'un budget de US$ 128 millions.
Le NCCAM finance la recherche sur la façon dont l'acupunture, les suppléments à base de plantes, la méditation, ou l'ostéopathie peuvent contribuer au traitement des maladies comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, et les désordres neurologiques.
Les pays en développement qui ont une longue histoire de la médecine traditionnelle recherchent également des moyens de moderniser leur propre héritage médical. En Chine, la médecine moderne et la médecine traditionnelle sont pratiquées en parallèle à tous les niveaux du système de santé. Le gouvernement accorde la même importance au développement des deux systèmes et la Chine a une communauté de chercheurs nombreuse et active dans le domaine de la 'médecine intégrative'.
En Amérique latine aussi, plusieurs pays travaillent pour offrir simultanément des soins de santé modernes et traditionnels (voir Modernising traditional medicine must work for locals).
Les gouvernements africains, notamment ceux du Ghana et du Nigéria, lancent des campagnes de sensibilisation et des technologies de lutte contre la contrefaçon pour mieux contrôler l'achat des médicaments. Et les initiatives comme le Réseau africain pour l'innovation dans le domaine des médicaments et des diagnostics encouragent l'exploration de la médecine traditionnelle.
Ainsi, la médecine traditionnelle peut beaucoup apporter à la santé mondiale, dans la mesure où le besoin de nouveaux médicaments n'a jamais été aussi urgent. Si les pays développés et les pays en développement unissent leurs capacités de recherche à travers des collaborations équitables, de nouvelles techniques scientifiques pourraient déclencher une reprise de la recherche et développement en santé dans le monde.
References
[1] Abbott, R. B. et al. Medical student attitudes toward complementary, alternative and integrative medicine Evidence-based Complementary and Alternative Medicine (2010)
[2] WHO factsheet on traditional medicine. WHO (2008)
[3] WHO Country Cooperation Strategy 2006–2011, India: Supplement on traditional medicine WHO Country Office for India, New Delhi (2007)
[4] Ghalib, H. The hunt for the next Artemisinin TDR News (2007)
[5] National policy on traditional medicine and regulation of herbal medicines: report of a global WHO survey WHO (2005)
[6]Deadly counterfeit diabetes drug found outside China's Xinjiang Xinhua News (2009)
[7] Tilburt, J.C. and Kaptchuk, T.J. Herbal medicine research and global health: an ethical analysis Bulletin of the World Health Organization 86 577–656 (2008).
[8] Ernst, E. Homeopathy: what does the "best" evidence tell us? The Medical Journal of Australia 192 458–60 (2010).
[9] Maslove, D.M. et al. Barriers to the effective treatment and prevention of malaria in Africa: A systematic review of qualitative studies BMC International Health and Human Rights 9 26 (2009)
[10] Patwardhan, B. Drug discovery and development: Traditional medcine and ethnopharmacology perspectives SciTopics (2009)
[11] Potential of traditional medicine should be fostered, Economic and Social Council President tells panel on attaining Millennium Development Goals in public health. UN Economic and Social Council (2009)