Le ministre camerounais de la Santé publique Malachie Manaouda a officiellement autorisé le 8 juillet 2021 la mise sur le marché local, pour une durée de trois ans, de quatre médicaments traditionnels améliorés (MTA) pour lutter contre la COVID-19 qui a déjà touché plus de 82 000 personnes et fait plus de 1300 morts au Cameroun.
Il s’agit de l’Adsak Covid/Elixir Covid, produits par l’archevêque de la ville de Douala, Mgr Samuel Kleda, du Corocur poudre d’Euloge Yagnigni, du Palubek’s de Christine Bekono et de Soudicov Plus de l’Imam Modibo.
De nombreuses solutions et décoctions à base de plantes médicinales ont émergé depuis le début de la crise sanitaire, au mois de mars 2020.
Les naturopathes qui élaborent et présentent ces médicaments ont plaidé à plusieurs reprises pour la reconnaissance officielle de leurs produits comme des traitements contre la COVID-19.
“En laboratoire, on a pu analyser le contenu de chaque ingrédient de ces produits. Ce sont des plantes bien connues. On connait leurs propriétés. Certaines ont des propriétés antivirales et antibactériennes”
Salihou Sadou, ministère de la Santé publique, Cameroun
Le gouvernement n’avait jamais donné de suite à leurs doléances, jusqu’à l’autorisation de mise sur le marché local accordée le 8 juillet 2021 à ces produits.
« C’est une fierté pour un chercheur de voir les résultats de sa recherche adoubés par le gouvernement. Il n’y a pas meilleur que ça », se réjouit Euloge Yagnigni, cardiologue et promoteur du Corocur.
Adjuvants
Dans sa décision, Malachie Manaouda précise que les MTA homologués sont des « adjuvants au traitement de la COVID-19 ». C’est-à-dire qu’ils doivent être associés au protocole anti-COVID-19 existant.
« Ces adjuvants ont été reconnus de manière indépendante par une commission nationale du médicament en collaboration avec le ministère de la Recherche et celui de l’Enseignement supérieur qui sont parties prenantes de cette commission », renseigne Salihou Sadou, directeur de la Pharmacie, du médicament et des laboratoires au ministère de la Santé publique.
D’après ce dernier, il y a une commission spécialisée des médicaments traditionnels et puis « la grande commission nationale qui vient statuer sur les décisions de la commission spécialisée des médicaments traditionnels », soutient-il.Selon Euloge Yagnigni, ces médicaments traditionnels améliorés ont été soumis à une évaluation rigoureuse avant d’être homologués.
« La première étape, c’était la rédaction d’un protocole à soumettre au Comité national d’éthique. C’est l’une des étapes les plus difficiles. Cette étape a été franchie. Ensuite, vous devez établir l’innocuité du produit. C’est-à-dire que vous devez montrer que le produit n’est pas toxique. Cette étape se fait à l’IMPM, l’Institut de recherches médicales et d’études des plantes médicinales », explique-t-il.
Le cardiologue ajoute qu’il fallait également démontrer la composition des produits.
« Qu’est ce qui est contenu dans le produit ? Ça a été fait également à l’IMPM. Il fallait réunir les preuves scientifiques de l’efficacité. Il fallait réunir également les preuves cliniques. Quand le malade prend le produit est ce qu’il y a une perturbation du système ? Est-ce que c’est efficace ? A 97%, nous avons eu un résultat positif », indique Eloge Yagnigni.
Preuves cliniques
Malgré ce contrôle effectué avant l’autorisation de mise sur le marché local, Aimé Bonny, cardiologue et enseignant à l’université de Douala, désapprouve la décision du ministre de la Santé.
« Les décisions impactant la santé des populations ne devraient s’appuyer que sur du rationnel scientifique et non du populisme. Ces médicaments n’ont rien prouvé objectivement. Leurs dossiers d’autorisation de mise sur le marché sont vides en termes de preuves quantifiables statistiquement. Le ministre le dit d’ailleurs », dénonce l’enseignant de cardiologie.
Pour lui, si les médicaments traditionnels sont vraiment efficaces, on doit pouvoir le démontrer « dans un langage que tout le monde comprend. Et le langage scientifique doit être le même au Guatemala comme en Chine ».
« Démontrons-le de manière à ce que le Mexicain puisse être d’accord en se disant : “oui la méthodologie qu’ils ont adoptée nous amène à penser que c’est simplement bon”. Parce que si c’est bon, on va l’exporter partout. On ne va pas simplement consommer ça au Cameroun », estime le Pr Bonny. Une position partagée par l’OMS. Interrogé le 19 août 2021 par SciDev.Net, au cours d’une conférence de presse en ligne de l’OMS-Afrique sur la lutte contre le coronavirus, Gilson Paluku, chargé de la vaccination systématique au bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, affirme qu’il y a tout un processus qui doit être respecté avant d’approuver l’efficacité d’un produit quel qu’il soit.
S’il avoue n’avoir pas toutes les informations sur le processus qui a conduit à l’homologation de ces médicaments traditionnels améliorés, Gilson Paluku soutient néanmoins qu’il doit y avoir une phase préclinique, suivie d’une phase clinique…
« Il y a trois phases avec évidemment un groupe témoin, enchaîne la même source. Tous ces éléments doivent être réunis pour qu’on puisse conclure, non seulement à l’efficacité du produit mais aussi dire si le produit est sûr, de qualité, qu’il ne peut pas avoir un impact négatif sur la santé, quels sont les effets secondaires ? »
« C’est à toutes ces questions qu’on doit répondre et les méthodes qui doivent être utilisées doivent être des méthodes scientifiquement admises par tout le monde », martèle Gilson Paluku.
Consommation communautaire
Salihou Sadou reconnait que les médicaments traditionnels améliorés mis sur le marché n’ont pas subi de phases précliniques et cliniques.
« Ce sont des médicaments traditionnels améliorés, ce sont des substances qui sont reconnues pour leurs propriétés. On peut garantir leur stabilité dans une certaine mesure, on peut également attester de leur efficacité basée particulièrement sur une consommation communautaire qui est longue et reconnue et d’autres éléments qu’on maîtrise mais pas avec toute la certitude qui est reconnue au médicament de la médecine conventionnelle », répond ce responsable du ministère de la Santé publique.
Selon ses explications, le cadre normatif au Cameroun, contrairement au médicament conventionnel qui exige d’énormes moyens humains, matériels et financiers, permet qu’on puisse encourager la médecine naturelle.
Répertoire de plantes
« Les constituants de ces plantes sont bien connus avec leurs propriétés. On sait qu’on a un répertoire de plantes à l’IMPM qui permet de les catégoriser, on sait que là également il est démontré une innocuité et une non toxicité basées essentiellement sur la longue consommation communautaire », souligne Salihou Sadou.
Ce dernier poursuit en précisant que des produits comme ceux élaborés par Mgr Kleda sont consommés depuis quelques années déjà et jusqu’ici, il n’y a pas eu d’effets graves.
« En plus, en laboratoire, on a pu analyser le contenu de chaque ingrédient de ces produits. Ce sont des plantes bien connues. On connait leurs propriétés. Certaines ont des propriétés antivirales et antibactériennes », ajoute-t-il.
Mais, rétorque Aimé Bonny, « on a besoin d’une certaine démonstration or ça, nos tradipraticiens ne savent pas le faire ».
Le cardiologue propose dès lors un accompagnement pour faire converger la recherche classique et la médecine traditionnelle.