Depuis déjà des années l Afrique affiche des taux de croissance positifs et supérieurs à 5% en moyenne, ce qui constitue une bonne chose, bien qu insuffisant pour enrayer la pauvreté qui la caractérise. Les spécialistes de la prospective estiment, avec joie, qu avec de tels taux de croissance, l avenir est radieux. Mais est-ce réellement suffisant ?
Les livres d économie de la croissance sont clairs : ils apprennent aux jeunes étudiants, que la croissance d aujourd hui n est pas toujours un bon prédicteur de la croissance du futur. La croissance de long terme dépend plutôt de l innovation et/ou l imitation : c est la capacité d un peuple à trouver des idées originales et à les exploiter qui fait la différence. Or, à ce niveau, l Afrique traine encore les pieds. Sur les 141 pays classés dans le Global Innovation Index (Indice global de l innovation) de la World Intellectual Property Organization (WIPO, Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), le pays africain le plus innovant est l Ile Maurice avec une note de 39,2 sur 100, suivie de l Afrique du Sud (37,4) et de la Tunisie (36.5). L Ile Maurice, l Afrique du Sud et la Tunisie occupent respectivement la 49ème, 54ème et 59ème position.
Une des raisons fondamentales à cette lenteur est avancée dans une étude co-signée avec l économiste Pierre Garello (1) établissant une relation positive et statistiquement significative entre l entrepreneurship et l innovation. Ne pas disposer d entrepreneurs rime avec inexistence de l innovation. Cette étude met aussi en avant le fait que l intelligence et l environnement institutionnel formel sont indispensables pour l innovation.
D après cette étude, l innovation est faible en Afrique, non parce que les personnes capables d innover n existent pas, mais plutôt parce que l on ne permet pas à l esprit d entreprise d éclore. En effet, les « institutions du marché » favorisent cet esprit parce qu elles instituent une certitude sur la règle, bannissent l incertitude sur le droit de propriété, réduisent les coûts de transaction et accroissent la « vigilance au profit ». Autant de facteurs indispensables à l expansion de l entrepreneuriat. Or, l Afrique, de manière générale, ne se distingue pas positivement sur ce terrain, en dépit des relatifs changements encourageants enregistrés ces dernières années. Toujours selon le classement WIPO, en matière d environnement institutionnel (composante de l indicateur se basant sur la qualité de la réglementation, la stabilité politique et le climat des affaires) le pays africain qui a la note la plus élevée est l Ile Maurice avec 78,8 sur 100 et occupe la 24ème position sur 141. Mais dans le top 50, l Afrique ne présente que cinq pays (Ile Maurice, Botswana (31ème), Afrique du Sud (39ème), Tunisie (49ème) et Namibie (50ème)). Le dernier quartile des pays mal classés est essentiellement africain. Il n est pas étonnant que « l esprit d entreprise » ne soit pas totalement au rendez-vous.
Comme le fait remarquer l étude avec Pierre Garello, si, d une part, l esprit d entreprise est le propulseur de l innovation, il faut, d autre part, un environnement institutionnel adéquat et des capacités humaines ad hoc. Pour l environnement institutionnel, on est en présence d un cercle vertueux en ce sens qu il permet l éclosion de l esprit d entreprise et en même temps il génère l innovation qui crée les nouvelles opportunités pour l esprit d entreprise et & de nouvelles opportunités. Les produits Apple de Steve Jobs ont par exemple pu être des innovations qui ont poussé leur créateur (et d autres) à vouloir les utiliser comme tremplin pour d autres innovations. Mais cela n a été possible que parce que l environnement institutionnel américain garantissait le droit de propriété, sans trop de difficultés. C est malheureusement le contraire en Afrique où la recherche des rentes dissuasives (corruption généralisée, etc.) pose de sérieux problèmes aux investisseurs et entrepreneurs.
Enfin, il y a le rôle de l intelligence. Il n est pas une surprise qu il faut une dose d intelligence pour créer. Si d une part l intelligence est l Suvre de la génétique, elle n en est pas moins aussi l Suvre de l environnement comme les reconnaissent unanimement maintenant les psychologues. Or, l Afrique ne propose toujours pas le meilleur environnement pour l expansion de « l intelligence ». Selon la composante de l indicateur WIPO mesurant le capital humain et la recherche, la Tunisie est le premier pays africain ayant la note la plus élevée (38/100). Et elle n occupe que la 60ème position sur 141 &
En somme, l Afrique présente aujourd hui des perspectives intéressantes en termes de croissance économique et bénéficie d atouts considérables pour changer la donne de sa situation. Mais l erreur à commettre serait de « dormir sur ses lauriers ». Il faut donc à ce continent de l innovation (et/ou de l imitation) et cela passe par la mise en place d institutions de qualité, favorisant l entrepreneuriat.
Par Oasis Kodila, économiste à l Université de Kinshasa et analyste sur www.UnMondeLibre.org.
(1) Oasis Kodila Tedika and Pierre Garello (2012), « Entrepreneurship matters: empirical evidence on innovation », Université de Kinshasa Working paper.