Pour Laurence Gudza, l innovation technologique ne peut être imposée aux populations modestes - elles doivent participer afin de sélectionner les idées qui leur conviennent.
L'innovation technologique est souvent considérée comme une panacée pour les problèmes auxquels les pays en développement font face. Des institutions de pays riches ont ainsi eu tendance à encourager, dans des pays comme le Zimbabwe, l'adoption de technologies en fonction de leurs propres agendas -- et non les technologies qui conviendraient mieux aux communautés locales.
Une telle approche prive ces communautés de la démocratie et de l'équité technologiques -- le droit de développer, de sélectionner et d'adopter des technologies qui aident les gens à mener le genre de vie qu'ils apprécient, sans compromettre la capacité des autres et des générations futures de faire de même.
Toute tentative d'imposer des technologies se fait au détriment de la durabilité sociale et des solutions durables au niveau local. Malgré des décennies d'efforts, il n'est pas certain que l'objectif d'améliorer la vie des populations grâce à la technologie puisse être atteint en suivant ce genre de stratégie.
En effet, adopter une approche normative au développement et à l'adoption technologiques échoue au premier obstacle : celui de l'acceptation par les bénéficiaires. Les technologies sont subtilement rejetées par les communautés pauvres lorsqu'elles sont socialement insoutenables, et même activement combattues lorsque perçues comme une violation des normes culturelles et traditionnelles d'une communauté.
Ainsi, la technologie d'irrigation au goutte-à-goutte ne s'est pas généralisée là où les villageois ne disposent pas de pompes à eau pour accéder à l'eau souterraine. Dans le même temps, des communautés n'ont pas adhéré à l'idée de toilettes écologiques parce que l'idée de recueillir leurs propres déchets pour fertiliser les jardins viole les normes et les croyances culturelles.
Nous devons adopter des approches qui soient entières, fondées sur la participation des communautés et qui tiennent compte de la façon dont les gens utilisent les technologies dans leur vie quotidienne. Pour les institutions, il est donc vital d'engager un dialogue sur les technologies avec ces communautés -- les groupes vulnérables, les chefs traditionnels, les décideurs politiques, les scientifiques et les entrepreneurs.
Des questions plus larges
L'introduction de technologies avec la participation communautaire est un processus social qui permet aux communautés de prendre en charge leur propre développement à travers le débat. C'est une stratégie qui favorise un agenda technologique basé sur les priorités locales et qui renforce les alliances pour une action collective.
Le processus est transparent, et met l'accent sur les priorités et les besoins des communautés. Il accepte et intègre le résultat issu de la participation, et, ce faisant, évite une focalisation trop étroite sur une technologie donnée. A l'inverse, des questions plus larges autour du problème que la technologie pourrait aider à résoudre sont examinées en termes généraux.
Ainsi, en 2006, un atelier de trois jours organisé par Practical Action, une organisation basée au Royaume-Uni, a examiné à quel point les nanotechnologies pourraient contribuer à l'atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement de réduire de moitié le nombre de personnes sans accès à l'eau potable d'ici 2015.
Les organisateurs n'ont pas mentionné une seule fois la nanotechnologie, jusqu'au dernier jour de l'atelier. Cela a permis aux débats de se concentrer sur le problème de l'eau en termes généraux - par exemple, l'accès, la disponibilité et la qualité -- évitant ainsi de se pencher sur une technologie spécifique.
Des technologies différentes ont donc été débattues -- et quand la nanotechnologie a été proposée aux participants, ces derniers ont soulevé plus de questions que les organisateurs n'auraient imaginées avant l'atelier.
Des questions sociales ont aussi été soulevées, comme le rôle des femmes et des jeunes filles qui vont chercher de l'eau, quelle que soit la distance de la source.
Les technologies traditionnelles et les systèmes de connaissances sur lesquels les communautés se sont appuyées pendant des décennies ont également fait l'objet de débats. Ce que nous devons faire, c'est trouver des moyens d'associer les systèmes développés localement aux nouvelles technologies, et ainsi accroître les chances de leur adoption.
Changer d'échelle
La même approche doit guider l'élaboration de la politique scientifique et technologique au niveau national. Toutes les parties prenantes, dont les communautés locales, devraient collaborer à ce processus. Cela permettrait d'exploiter la puissance des connaissances autochtones et d'assurer que les politiques soient pertinentes pour les besoins des populations sur le terrain. La mise en Suvre et l'adaptation des nouvelles technologies devraient également être pilotées par les utilisateurs.
En 2008, une étude pilote réalisée par Practical Action auprès d'une population rurale de 51 000 personnes au Zimbabwe, intitulée 'Partage du contenu local dans les langues locales', a testé des dispositifs mobiles de podcasting (balado-diffusion) des informations pertinentes aux agriculteurs, comme les productions végétale et animale, ou la transformation et la conservation des aliments. Des enregistrements ont été faits en utilisant des voix et des langues locales.
L'impact du projet a dépassé les attentes ; les moyens de subsistance ont été améliorés avec l'augmentation de la production et des rendements, et des marchés ont été créés pour les acheteurs et les fournisseurs.
La technologie est aujourd'hui en cours d'introduction auprès d'une population de 450.000 personnes dans plusieurs districts. Des agriculteurs formés comme agents de vulgarisation communautaires en diffusent le contenu, tout en recueillant des connaissances indigènes que des experts peuvent ensuite combiner avec le contenu scientifique en vue d'une utilisation par tous les membres de la communauté.
D'autres techniques permettent de s'assurer que la technologie est bien adoptée et appropriée par les communautés ; ainsi des visites 'd'observation et d'apprentissage,' d'agriculteur à agriculteur, et la participation d'intervenants aux niveaux des districts et des provinces dans l'élaboration et l'établissement des priorités du contenu aident à atteindre l'objectif final.
Une grande part des efforts d'adaptation pour que la technologie réponde aux besoins locaux se fait par les communautés, au sein des communautés, et dans la plupart des cas, les idées pour le développement de nouvelles technologies sont conçues à cette échelle.
Quarante ans au moins depuis que la poussée technologique a commencé au Zimbabwe et dans d'autres pays en développement, l'impact sur les moyens de subsistance des populations pauvres reste insaisissable, et ce peu importe la quantité de technologie que l'on incite les communautés à adopter. La différence entre le succès et l'échec réside dans l'approche que l'on utilise pour sélectionner et évaluer la technologie.
Laurence Gudza est chef d'équipe du programme Répondre aux nouvelles technologies, auprès de Practical Action Southern Africa, basé au Zimbabwe. Il peut être contacté à l'adresse : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ou Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.