Le développement des pays africains passent aussi voire surtout par le secteur de l artisanat, transversal et à forte valeur ajoutée. En Afrique de l Ouest, par exemple, la part de l artisanat est évaluée en moyenne à près de 20 % du produit intérieur brut (PIB).
Au Togo, le secteur de l artisanat occuperait plus de 18 % de la population active, enregistrant environ 60 principaux corps de métiers et 130 activités afférentes, selon le premier ministre togolais, Séléagodji Ahoomey-Zunu. En Côte d Ivoire, l artisanat contribue à hauteur de 12% au PIB, et emploie plus d un quart de la population active selon l Institut national des statistiques (INS).
Malheureusement, beaucoup d artisans du continent restent livrés à eux-mêmes, en quête de débouchés commerciaux.
Pour accompagner la prise de conscience des gouvernements africains et en attendant un essor pérenne de la filière artisanat, plusieurs initiatives d ONG, d associations, de petites entreprises et de jeunes entrepreneurs ont vu le jour.
Parmi elles, le projet IBABA Rwanda initié par deux soeurs, Véronique et Pascale. Véronique, française, qui vit entre Paris et Kigali au Rwanda, est infographiste, graphiste freelance d abord en Allemagne, puis en France et au Costa Rica. Pascale est docteur en microbiologie, française, mariée à un Rwandais et vit à New York.
Leur objectif : Remettre en route un atelier de broderie artisanale qui s était tragiquement arrêté en 1994 à cause du Génocide au Rwanda.
A l origine, dans les années 1970, la communauté belge des SSurs de la Visitation avaient créé des ateliers de broderie à Rutongo pour donner aux jeunes filles une formation professionnelle et de quoi faire vivre leur famille et le village. Les sSurs faisaient venir les plus beaux matériaux d Europe (lin de Belgique, fils DMC, ...) pour produire des modèles d excellente qualité. Elles ont ainsi développé un savoir-faire de broderie inégalé dans toute l Afrique.
Les événements tragiques de 1994 ont provoqué la fermeture des ateliers et le départ définitif des sSurs de la Visitation, retournées en Belgique. Depuis, l atelier de Rutongo n avait jamais rouvert, faute de moyens et d entrepreneur.
Depuis 2011, les jeunes soeurs, ayant découvert l histoire de l atelier, se sont attelées à redynamiser son activité et à en développer la production avec de nouveaux modèles à travers la création de la marque IBABA Rwanda. En juin 2012, elles ont remis en route l atelier avec 14 brodeuses.
Comment ont-elles réussi leur pari ? Qu est-ce qui a motivé cette initiative à la fois innovante et émouvante ? Quelles sont les prochaines étapes d expansion de la marque ? Les réponses dans cet entretien exclusif que Véronique et Pascale, les porteuses du projet IBABA Rwanda, ont accordé à nextafrique.com.
Next-Afrique : Pouvez-vous nous décrire votre projet ?
Véronique : Notre projet est de remonter un atelier de broderie artisanale dans le village de Rutongo au Nord de Kigali au Rwanda.
Malheureusement les événements de 1994 ont provoqué la fermeture des ateliers florissants créés la communauté belge des Soeurs de la Visitation et le départ définitif des religieuses, retournées en Belgique. Depuis, l atelier de Rutongo était resté abandonné.
En 2011, nous rendant compte de l immense potentiel toujours vivant, nous nous sommes engagées officiellement à aider ces femmes à relancer une véritable activité autour des broderies. C est ainsi qu une coopérative qui regroupe aujourd hui 22 brodeuses a été mise en place en juin 2012 et que la marque IBABA Rwanda a été créée. L atelier a été provisoirement installé dans les locaux d une maison privée de Rutongo.
Etant graphiste de formation, j ai rafraichi le design des produits autrefois réalisés et je me suis penchée sur une nouvelle collection plus actuelle. Une première collection de pochettes, chapeaux, paniers, linge de maison, etc., a donc pu être lancée depuis peu.
Ensemble, nous travaillons au développement de la marque IBABA Rwanda, à l expansion des points de ventes au Rwanda ainsi qu à l'international. Depuis sa récente mise en marché, l atelier a reçu des commandes de confection pour des particuliers ou des projets de décorations. La réouverture des ateliers suscite déjà beaucoup de curiosité et d enthousiasme aussi bien au Rwanda qu au sein de la communauté Rwandaise à l'étranger.
IBABA Rwanda collabore aussi avec des ateliers de vanneries et des artisans en maroquineries locaux afin d élargir leur gamme de produits et de mieux l adapter au marché occidental.
Comment en avez-vous eu l idée ?
Depuis 1998, ma soeur et moi même avons été amenées à côtoyer les habitants de Rutongo, un village situé à une vingtaine de kilomètres au Nord de Kigali, ma soeur Pascale étant mariée à un Rwandais de cette région-là. Au cours de nombreux voyages, nous avons découvert et créé des liens avec les anciennes brodeuses de l'atelier qui faisaient la réputation de ce village à travers tout le pays : un atelier de broderie artisanale qui a dû tragiquement fermer ses portes en1994 à cause du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda.
Touchées par leur histoire et animées par le potentiel de ces femmes condamnées pourtant à des conditions plutôt précaires, il y a un an, nous avons finalement mis tous les efforts en place pour réaliser leur rêve. Celui de remettre en route cet atelier de broderie et d offrir à ces femmes une deuxième chance.
Quel est votre parcours ?
Pascale : Je suis très attachée au Rwanda, c est devenu mon pays d'accueil. Dans le village de Rutongo, où se trouve la maison familiale, j ai aussi trouvé une 2eme famille. Au fil de mes séjours là-bas, l envie de prendre part au développement du village s est renforcée. La complémentarité avec ma sSur et son coté créatif a pris tout son sens dans ce projet. Aujourd hui, mon ancrage familial au Rwanda me permet de développer les contacts sur place et de faire rayonner le projet et la marque IBABA Rwanda à l international. Je suis expatriée depuis plus de 20 ans, ce projet me permet de m impliquer personnellement pour le Rwanda et donne une opportunité aux expatriés Rwandais et aux personnes qui le souhaitent, de s impliquer également, en soutenant notre initiative et/ou en devenant des clients de IBABA Rwanda.
Véronique : Je trouve dans ce projet un véritable enrichissement personnel au niveau créatif tout en collaborant au développement social d un groupe de femmes. Je m occupe de la logistique des achats et de toute la création stylistique. Vivant à Paris et donc «connectée avec les tendances» j oriente le travail des brodeuses vers des créations plus adaptées au marché actuel.
Comment avez-vous financé votre capital initial ? Quels fonds et quelles aides avez-vous obtenus pour pouvoir lancer votre business ?
Nous avons commencé le projet avec des fonds personnels, puis nous avons fait appel a un financement public sur le système du crowdfunding avec un site français « Kisskissbankbank ». Nous avons pu ainsi financer une partie des achats en matière première tel que les fils de broderie et puis une machine a coudre. Cette expérience du crowdfunding nous a permis de voir l'intérêt que pouvait susciter le projet auprès du public. L'expérience a été plutôt positive puisque nous avons largement dépassé notre objectif de collecte.
Comment avez-vous convaincu les investisseurs de vous faire confiance ?
Nous sommes actuellement en train de finaliser notre Business Plan pour obtenir d autres financements entre autre pour ouvrir une école de formation. La plupart des brodeuses qui travaillent dans l atelier ont maintenant 50 ans environ et il faut assurer la relève! Ce serait une opportunité pour beaucoup de jeunes filles de la région d avoir une vraie formation professionnelle. Ce n est pas très difficile de convaincre avec un projet comme celui-ci, c est tout simplement un beau projet humain et puis la plupart des Rwandais de plus de 40 ans se souviennent très bien de l Atelier de Rutongo, l histoire est déjà connue, ce n est pas comme si nous devions commencer de zéro.
Quelles sont vos prochaines étapes d expansion ?
Les prochains objectifs de la coopérative sont de créer, au sein même de l'atelier, un centre de formation pour les jeunes filles du village.
Pour le moment, nous devons ouvrir le marché à l international et créer un site de vente sur internet. Nous voudrions aussi collaborer avec d autres créateurs aussi bien Rwandais que étrangers J imagine très bien pouvoir travailler avec des créateurs sur certains produits de leur collection en y intégrant la broderie. Celle-ci bénéficie d un élan de popularité en ce moment dans la mode et ce serait pour nous l occasion de montrer le savoir faire de ces femmes en dehors des frontières.