"Il faut, sur la question monétaire, être d'une extrême modestie. C'est un sujet difficile et l'union monétaire ne sera sûrement pas le moins difficile des aspects de l'union du Maghreb Arabe. Quelle que soit l'échéance, il faut néanmoins déjà y penser, et même en parler : nous savons bien que le discours crée une exigence, une tension vers l'aboutissement". M. Leproux, 1990
Ces propos, tenus par un auteur français il y a presque un quart de siècle, sont toujours valables pour au moins deux raisons. D'une part, parce que les avancées sur le chemin de l'intégration monétaire au Maghreb sont restées très en retrait par rapport à celles enregistrées dans le domaine commercial ou financier et, d'autre part, parce que les appels à la création d'une monnaie unique (ou commune) maghrébine par des économistes, spécialistes de la finance ou même des hommes politiques n'ont pas cessé de retentir ces dernières années.
Plusieurs questions nous interpellent chaque fois que cette problématique est abordée: la mise en place d'une monnaie unique est-t-elle vraiment utile pour les pays de la région? Les expériences passées d'intégration monétaire sont-elles transposables au cas du Maghreb? Ce projet d'union monétaire est-il réellement faisable, sinon, que faut-il faire pour qu'il puisse le devenir?
La monnaie unique, vraiment utile pour le Maghreb?
L'idée d'une union monétaire maghrébine peut être attractive dans la mesure où elle pourra constituer un catalyseur pour le commerce et la croissance dans la région. En effet, une zone où la circulation d'une monnaie unique est assurée limite les coûts de transaction, les incertitudes et les risques d'attaques spéculatives contre les monnaies, ce qui améliore à son tour les échanges, les investissements et la consommation.
Cependant, ce processus n'est pas sans risque et l'union monétaire peut se traduire par des coûts macroéconomiques non négligeables. En particulier, il n'est plus possible à la banque centrale de définir un objectif macroéconomique de manière autonome, ni d'utiliser, à sa guise, les instruments de régulation monétaire. De même, il n'est plus admissible pour les gouvernements d'utiliser le droit de "battre monnaie" et d'encaisser par conséquent des recettes de seigneuriage.
En clair, tout projet d'intégration monétaire suppose au préalable un calcul "coût-bénéfice" approfondi de la part des pays concernés, et ce avant de trancher la question de l'utilité de la monnaie unique. Sur ce thème, l'histoire nous éclaire déjà sur de nombreux points.
Quelles leçons tirer de l'Histoire?
Soyons d'accord de prime abord sur un principe: une expérience d'intégration monétaire vécue dans une région quelconque ne peut pas être transposée dans une autre région. Et pour cause, chacune de ces expériences est motivée par un certain nombre de facteurs (politiques, commerciaux, financiers) et sa réussite ou son échec reste abouté à des caractéristiques (économiques, institutionnelles) propres à chacun des pays concernés.
Mais cela n'empêche pas que l'on questionne l'histoire des unions monétaires afin de tirer quelques leçons pour les pays souhaitant démarrer un projet similaire.
Généralement, les expériences d'intégration monétaire peuvent être divisées en deux catégories: celles vécues par les Etats à l'intérieur de leurs frontières nationales d'une part (Etats-Unis 1789, Italie 1862, Allemagne 1871...) et celles regroupant des Etats indépendants d'autre part (union monétaire latine 1865-1925, union monétaire scandinave 1873-1924, zone franc CFA, zone euro).
Cette décomposition nous pousse à tirer un constat intransigeant: Chaque fois que l'expérience d'intégration monétaire se veut être similaire à celle vécue à l'échelle nationale (plutôt qu'entre des Etats indépendants), la probabilité que les bénéfices dépassent largement les coûts est grande et les chances de viabilité de l'union monétaire sont importantes. La cause étant qu'au sein d'un même Etat, il existe une unification politique, un cadre institutionnel unique, une harmonisation structurelle et une centralisation du pouvoir monétaire et budgétaire qui assurent la bonne gestion de la monnaie unique et qui garantissent la continuité de l'union.
Il s'ensuit que la capacité des pays du Maghreb à créer une union monétaire viable dépendra certainement de leur aptitude à se conformer aux exigences politiques, structurelles et institutionnelles qu'on vient de mentionner.
Quo vadis Maghreb?
Concrètement, l'option de création d'une monnaie unique au Maghreb n'est pas encore à l'ordre du jour à cause des divergences structurelles et institutionnelles caractérisant les pays de la région mais aussi et surtout vu les clivages politiques les opposant.
Par ailleurs, il serait quand même opportun pour les pays du Maghreb de statuer sur la nature du régime monétaire qui sera compatible avec leur environnement politico-économico-financier. Dans ce cadre, et au cas où ils décideront d'adopter une monnaie unique entre eux, ces pays doivent dès maintenant s'engager sur la voie de l'entente, entreprendre des réformes audacieuses et définir un chronogramme crédible leur facilitant la transition vers ce nouveau régime.
A cet effet, il leur est recommandé en premier lieu de résoudre leurs différends politiques, en particulier via le respect des résolutions de l'ONU (par exemple la résolution 1751 portant sur l'autonomie du Sahara occidental). Dans la même veine, il leur est conseillé de renforcer le rôle de l'UMA, notamment à travers la délégation d'une partie de leur souveraineté nationale au profit de cette institution et l'abolition de la règle de l'unanimité inscrite jusqu'à maintenant.
De même, il leur est préconisé de renforcer la coordination de leurs politiques économiques, d'harmoniser leur cadre institutionnel et de poursuivre leur processus gradualiste d'ouverture et de diversification économiques.
Enfin, il est leur est suggéré de relancer le calendrier déjà élaboré à la veille de la signature de l'accord de Marrakech en 1989 stipulant la création à terme d'une union économique. Dans ce cadre, ces pays sont appelés avant tout à intensifier le commerce intra-zone et mettre à profit la complémentarité de leurs économies.