En vue de renflouer les caisses de l’Etat suite aux pertes de recettes engendrées par la crise d’Ebola qui a frappé le pays et son économie en 2013 et 2014, le gouvernement guinéen prend depuis 2015 des mesures visant l’augmentation des impôts. Pourtant, ne dit-on pas que «trop d'impôts tuent l'impôt». Qu’en est-il ?
Cette idée a été développée en son temps par des économistes comme Adam Smith ou encore Jean-Baptiste Say qui défend « qu'un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte (…) Par une raison contraire, une diminution d'impôt, en multipliant les jouissances du public, augmentent les recettes du fisc et fait voir aux gouvernements ce qu'ils gagnent à être modérés». C’est aussi l’idée défendue par Arthur Laffer dans le concept « d'allergie fiscale » ou de courbe de Laffer qui démontre que la relation positive entre croissance du taux d'imposition et la croissance des recettes de l'État s'inverse lorsque le taux d'imposition devient trop élevé. La Guinée court-elle ce risque ?
Si l’on ne prend que le secteur de la télécommunication par exemple, l’Etat a instauré dès janvier 2015 une taxe sur l’accès aux réseaux téléphoniques (TARTEL) supportée par les opérateurs à hauteur de 3% de leurs chiffres d’affaires. Le 1er juillet 2015, l’entrée en vigueur de la loi L/2015/N°002AN du 20 mars 2015 introduisait des taxes sur l’appel téléphonique, l’interconnexion et le roaming. A cela s’ajoute la TVA, la taxe sur le trafic international entrant, les redevances payées à l’Autorité de régulation et depuis le 16 janvier 2016, les taxes sur la data et les SMS. Au niveau des consommateurs, l’Etat avait aussi instauré en juillet 2015 la taxe sur la consommation téléphonique (TCT). Suite à la multiplication de ces prélèvements, plusieurs effets pervers sont à noter.
Le premier effet remarquable est l’allergie fiscale. Les opérateurs économiques ont développé une certaine attitude de résistance à la législation. Par exemple, la loi de finances 2016 prévoyait le rehaussement du taux d’imposition de la TVA de 18 à 20%. Le 05 février 2016, la société Rio Tinto Simfer SA, l’un des plus gros contribuables du pays, avait écrit à l’ensemble de ses fournisseurs pour les informer qu’elle n’était pas concernée par les nouvelles dispositions fiscales au regard de la Convention de base qu’elle avait signée avec l’Etat guinéen avec force de loi. Selon elle, cette convention contenait une clause de stabilité du régime fiscal non respectée par l’Etat guinéen et qui fondait son droit de retourner les factures des fournisseurs qui appliqueraient les 20%. Ce comportement de résistance avait aussi été observé au niveau des consommateurs qui ont obtenu le recul du gouvernement sur la surtaxation de certains produits de première nécessité. En plus de la résistance, il faudrait s’attendre à l’augmentation de l’évasion et de la fraude fiscale dans la mesure où le dispositif mis en place par la Loi de finances 2014 sur le prix des transferts internationaux n’exige aucun détail sur le contenu de l’obligation documentaire permettant de justifier la politique de prix pratiquée.
Le deuxième effet est l’augmentation des coûts. Par exemple, dans les services de télécommunication, le coût des appels locaux devait connaître une augmentation de 12% depuis le 1er juillet 2015 conformément à l’arrêté conjoint A/2015/2875/MPTNTIC/MDB/SGG des ministres du budget et des télécommunications rendu public le 09 juin 2015. Le problème est que cette augmentation des coûts intervient dans un contexte économique où les activités ont été freinées par des troubles politiques réguliers de 2010 à 2013 et la psychose de l’épidémie Ebola depuis 2013. Elle contribue donc à renchérir l’offre avec le risque de limiter la demande comme l’avertissaient les opérateurs de téléphonie eux-mêmes le 25 juin 2015. En effet, le renchérissement de l’offre réduira la consommation qui à son tour réduira la base d’imposition de la TVA ou de la TCT.
Le troisième effet est le cycle infernal de l’augmentation des impôts. Le gouvernement court toujours après une augmentation théorique des recettes de l’ordre de 900 milliards de francs guinéens par an. Or, il entre dans un cercle vicieux car, en voulant augmenter ses recettes fiscales, il surtaxe. Mais en surtaxant, les recettes baissent. Et pour compenser cette baisse, il surtaxe de nouveau, ce qui réduit encore les recettes et ainsi de suite. Il continue d’étendre la surtaxation à tous les secteurs au risque de détruire les piliers de l’économie. Par exemple, depuis le 1er mars 2016, les droits de douane sont parfois passés du simple au double. Le dédouanement d’une voiture de 5 à 10 ans est passé de 3 millions à 6 millions de francs guinéens. A noter que les droits d’importation ont pour effet de renchérir les matières premières ou les biens d’équipement, ce qui affecte négativement la compétitivité des produits locaux. La chute du chiffre d’affaires qui en résulte empêchera les entreprises de payer plus d’impôts et donc, d’augmenter les recettes de l’Etat.
Par contre au regard de la rationalité des agents économiques, l’hypothèse de Laffer défend que les taux d'imposition bas sont de nature à conduire à l'implantation de nouvelles sociétés et ainsi, à l’augmentation de la base de l'impôt. Ainsi, l’on peut s’attendre en Guinée avec la hausse des impôts à l’effet inverse et à l’amplification de l’informel. Le choix fiscal du gouvernement guinéen l’enferme dans la logique de l’Etat-providence qui en l’absence de ressources locales suffisantes, tombera dans le piège du surendettement. En 2015, la dette de l’Etat auprès de la Banque centrale de Guinée était déjà supérieure à 1700 milliards de francs guinéens. Pourtant, le choix de baisser les impôts par d’autres pays comme les Etats-Unis en 2003 avait conduit à une augmentation des recettes du gouvernement de plus de 10%, faisant dire au Trésor américain que les recettes fiscales avaient atteint leur second point le plus haut de l'histoire.
Au final, il est permis d’avancer que l’Etat guinéen a plutôt intérêt à alléger les charges fiscales de ses acteurs économiques pour élargir son assiette fiscale et relancer ainsi son économie, ce qui in fine lui permettra de générer plus de recettes fiscales.