Alors que le président français se voit empêtré dans des affaires qui se rapprochent toujours plus de lui (affaire Cahuzac, affaire Augier et maintenant peut-être Fabius), nul doute que l'accueil d'un brave dictateur africain pourra redorer efficacement son blason et sauver la face de la « République irréprochable » !
Le timing n aurait pu être pire pour la visite du camarade Sassou Nguesso, trainant lui-même les casseroles de l affaire des « biens mal acquis » - en réalité pas grand chose à côté de la responsabilité du « Président » dans la guerre civile au Congo et son cortège d horreurs (avec d ailleurs le soutien amical d un autre président français venant de Corrèze, et récemment « anosognosique »).
Irréprochables
Rappelons que Sassou Nguesso, c est un système népotique verrouillé et une nation avec 54% de la population vivant sous le seuil de pauvreté à côté d un luxe écSurant pour ceux, l entourage du président, qui profitent grassement et de manière opaque de la manne pétrolière (grâce à Total qui exploite la majeure partie des gisements). La démocratie selon Sassou, ce sont 29 ans au pouvoir (avec une petite pause « démocratique » qui n aura pas duré et qui sera refermée par la guerre civile). M. Sassou est d ailleurs tellement aimé de son peuple qu il faut que des rabatteurs proposent 200 euros pour que des gentils congolais aillent applaudir leur cher président à son arrivée à l aéroport à Paris.
A propos de la « Françafrique », François Hollandeavait déclaré vouloir en terminer « avec ces rapports de domination, d'influence et d'affairisme ». On se rappelle que « le temps de la Françafrique [était] révolu » et que « les émissaires, les intermédiaires et les officines trouvent désormais porte close à la présidence de la République française, comme dans les ministères ». Effectivement pas d intermédiaire ici : le Président Sassou se présente en personne pour être reçu à l Élysée et dans les Ministères, notamment celui de la Défense et des Affaires étrangères. Le changement c est & ?
Bien sûr, il faut reconnaître à M. Hollande d avoir attendu près d un an avant d avoir reçu M. Sassou Nguesso. En outre, lors du sommet de la francophonie à Kinshasa en octobre dernier, où il avait d ailleurs évité au maximum son hôte de la RDC, il n avait réservé qu un quart d heure d entretien à M. Sassou. Et lorsque ce dernier s était plaint de l affaire des biens mal acquis, le président français avait pu rétorquer qu il laisserait faire la justice. M. Hollande n est clairement pas M. Chirac.
Pour autant, Sassou a tenté de redresser la barre. Il a un rôle en Afrique centrale et peut se poser en médiateur utile. S il n a pas été au centre de la gestion de la crise centrafricaine ou malienne (le Tchad prenant les devants), il aurait cependant, selon le magazine Afrik, financé en partie l envoie des contingents tchadiens sur le sol malien. Il est sans doute difficile pour un président français de l ignorer. D autant qu il paraît évident que quelques grandes entreprises « amies » font pression.
Medef : le beau capitalisme de copinage
Car le dictateur congolais sera par ailleurs reçu au Medef, le syndicat patronal français. Voilà qui en dit long sur la conception de l entreprise dans les hautes sphères du pouvoir économique français. Sans surprise, le patronat français est en effet très loin du libéralisme, lui préférant le capitalisme de connivence qui joue de l entremise de l État pour obtenir des grands contrats. Pourquoi en effet s embêter avec l état de droit, la concurrence, le respect des droits de l homme et de la démocratie, la reddition des comptes et autres sornettes ? L affairisme d État est tellement plus simple (c est le groupe Bolloré qui gère le prêt de 2009 de 29 millions d euros de l AFD au Congo &). Les vieilles habitudes ont la vie dure visiblement. D autant qu aujourd hui, après tout, « si on n y va pas, les chinois y iront, donc autant y aller et fermer les yeux sur les choses qui dérangent » & Et tant pis pour la plèbe congolaise, la « France » doit rester le premier partenaire économique (590 millions d exportations françaises en 2012).
Ce que ces grands patrons français ne saisissent pas, c est qu en soutenant un tel régime, ils sont au centre de deux mouvements destructeurs complémentaires. Tout d abord par le système de capitalisme de connivence qu ils maintiennent ils empêchent un véritable état de droit et donc un vrai capitalisme - d émerger. Ces grands patrons tuent indirectement les conditions de la concurrence et de l entrepreneuriat africain (à l exception de quelques prestataires locaux), pourtant source ultime de développement : « le capitalisme pour moi, mais pas pour les autres » en somme. De manière tout aussi importante, ils dégoutent les populations des multinationales et du capitalisme lui-même alors que ce dernier, dans le cadre d un état de droit, serait la seule planche de salut de ces populations. Ces dégâts « idéologiques » sont catastrophiques sur le long terme en particulier si, par hasard, une démocratisation avait lieu par exemple.
Espérons donc que quelque entrepreneur du Medef ait le bon goût de rappeler à ses petits camarades et à M. Sassou Nguesso qu il serait plus intéressant que les affaires soient faites de manière ouverte et accessible à tout le monde au Congo, dont le classement au Doing Business sur la qualité du climat des affaires n est, sans surprise, pas exactement glorieux (183ème sur 185 pays). Et espérons, que les politiques français, quitte à faire dans le paternalisme, exercent une réelle pression en faveur de l état de droit au Congo.
Emmanuel Martin est analyste sur LibreAfrique.org