Alors que les pays développés se confrontent aux problèmes du chômage, après la crise économico-financière internationale, dans certains pays ce fléau est devenu une constante de la situation économique. C est le cas par exemple de la République démocratique du Congo (RD Congo) o? le taux de chômage est estimé à plus de 80% (bien que les autorités le considèrent légèrement en dessous de cette barre). Ce chômage peut-il baisser ?
De prime abord, rappelons que si cette situation perdure depuis des décennies, il n en a jamais été toujours le cas dans l histoire de ce pays. En effet, dans les années 80, il n était pas aussi élevé qu aujourd hui. Il était par exemple de 8,4% en 1984. Les choses se sont dégradés avec le temps à la suite notamment des mauvais choix politiques des autorités du pays. C est ce que nous appelons, en empruntant à Basil Davidson, le « fardeau de l homme africain », ou mieux : le « fardeau de l homme congolais ».
André Makutubu Balibwanabo et moi-même avons entrepris récemment une étude* sur l application de la loi d Okun en République démocratique du Congo. En langage moins technique : nous avons essayé de savoir si la croissance économique avait un impact sur la réduction du chômage en République démocratique du Congo. Chaque hausse d un point de pourcentage du taux de chômage correspond à un ralentissement de 0.425% dans la variation de PIB réel autour de sa tendance. Cela signifie que le taux de croissance doit croître plus vite que celui du taux de chômage, et à des taux très élevés pour espérer réduire significativement ce taux de chômage stratosphérique.
Mais il ne suffit pas seulement d avoir des taux de croissance à deux chiffres, encore faut-il que cette croissance soit riche en emplois. C est ici que les autorités congolaises doivent réformer la structure de l économie notamment en :
1. multipliant le nombre d emplois.
Il ne s agit pas ici de créer des emplois « à coups de baguette magique » mais de libérer le potentiel d emploi de l économie congolaise, notamment en réduisant les démarches et la bureaucratie inutile et coûteuse qui entourent la création d une entreprise au Congo-Kinshasa. Rappelons que dans ce pays pour créer une entreprise, il faut 10 procédures, 84 jours et surtout avec un coût de 735,1 % du revenu par habitant : sept années d un revenu moyen, uniquement pour payer les frais administratifs... Ce type d incitations est catastrophique pour la création d entreprises. En Afrique sub-saharienne, il faut en moyenne 8,9 procédures, 46,2 jours et avec un coût de 95,4 % du revenu moyen. C est déjà trop : un an de revenu moyen... Dans les pays de l OCDE, il faut au contraire 5,6 procédures, 13,8 jours et un coût de 5,3 % du revenu moyen : faut-il s étonner que le dynamisme économique ne se trouve pas en Afrique mais plutôt dans les pays de l OCDE ? Or, ce sont les entreprises qui créent des emplois et résorbent le chômage. Quand elles sont nombreuses et offrent des emplois, moins de gens sont au chômage. Malheureusement, les barrières à la création d entreprises sont si élevées en République démocratique du Congo que les entreprises ne se créent pas. Et, par répercussion, l emploi non plus : c est le chômage garanti, et la pauvreté qui va avec.
2. orientant les composantes majeures de la structure de la production nationale.
Celle-ci devant être portée notamment par des secteurs à forte intensité en main-d Suvre. Les entreprises nécessitant une main d Suvre peu onéruese sont un exemple, mais on revient au premier problème : faciliter la création d entreprises. Autre secteur : l agriculture. Pendant que cette dernière occupait une place importante dans les composantes de la production nationale congolaise, le chômage n avait jamais atteint le sommet que nous déplorons aujourd hui : l agriculture occupait un grand nombre de congolais. Le secteur minier, dans le simple exercice d extraction des mines, n a jamais été un véritable grenier des emplois. Même au Botswana, une des success story africaines, le secteur minier n a pas créé un si grand nombre d emplois. Mais pour que l investissement et l entrepreneuriat se dirigent vers l agriculture, il faut une réforme du foncier rural pour une définition et une clarification des droits de propriété : qui investirait sur une terre à laquelle est attachée une propriété vague et incertaine ? Ici encore les incitations sont catastrophiques. Les rentes immenses des ressources naturelles du pays doivent donc être mises à contribution pour financer cette infrastructure « institutionnelle ». Avec des droits de propriété clairs et précis, mais qui respectent les droits coutumiers (car il ne s agit pas de retirer la terre aux populations locales pour la vendre à des étrangers), les incitations à développer le secteur agricole seront enfin là. Ajoutons à cela un grand marché africain ouvert, et non fragmenté par le protectionnisme comme c est le cas à l heure actuelle, et on posera les conditions pour le développement d un secteur capable d absorber une bonne part de la main d Suvre oisive.
Le chômage rend la vie de la population congolaise très difficile, dans un pays où le pouvoir d achat est déjà très faible et relativement instable. Cette situation paraît d autant plus paradoxale et scandaleuse que le sous-sol du pays est d une exceptionnelle richesse. Le fléau du chômage devrait constituer la priorité du prochain gouvernement, sinon cette population va continuer à être un des plus « malheureuse » au monde (l indice du malheur étant mesuré ici par la sommation du taux d inflation et du taux de chômage), mais aussi une des plus pauvres. La réduction de chômage relèvera sans doute d un travail difficile, mais n est pas une bataille perdue d avance pour peu que l on pose les bonnes conditions institutionnelles à la création d entreprise et à la protection des droits de propriété. La réforme des institutions formelles est une question de volonté politique.
* Mukutubu Balibwanabo, A. et Kodila Tedika, O. (2009), « Loi d Okun en République démocratique du Congo : évidences empiriques », Congo Economic Review, Vol. 6, No . 1, Avril, pp.19-41
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Une analyse d'Oasis Kodila Tedika publiée sur UnMondeLibre. Oasis Kodila Tedika est un économiste congolais, analyste sur www.UnMondeLibre.org.