Au moment où l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) basée à Yaoundé commémore à grand renfort de publicité ses 50 ans d'existence, le catalogue des inventions recensées au cours de ce demi-siècle projette une image pâle d'un continent sous l'emprise de l'imitation, en plus d'une valorisation marginale.
En 50 ans d'OAPI, un âge qui se confond avec celui de l'accession à l'indépendance après la colonisation européenne de nombre des pays du continent le plus pauvre de la planète et paradoxalement le plus riche en ressources naturelles, l'Afrique a enregistré plus de 70.000 marques, plus de 15.000 brevets commerciaux et plus de 85.000 non commerciaux, selon les chiffres officiels.
Si ces chiffres témoignent d'une créativité qui rappelle que l'Afrique est le berceau de la civilisation, ils intriguent cependant à propos de son retard technologique, au point que sa part à l'économie mondiale est limitée à moins de 3%, faute d'un tissu industriel compétitif face aux autres régions dont elle se contente d'être une simple consommatrice de leurs prouesses technologiques et scientifiques.
Ce n'est pas peu dire que la propriété intellectuelle africaine est d'abord trahie par la valeur douteuse même de certaines des inventions déclarées. "Nos compatriotes innovent, mais ils copient aussi beaucoup. Pour valoriser une création, si vous faites une copie, cela ne passe pas, vous n'arrivez pas à avoir le label de la propriété intellectuelle", a observé à Xinhua le ministre togolais de l'Industrie, de la Zone franche et des Innovations technologiques, François Galley.
Dans le lot, quelques génies émergent à l'instar du jeune polytechnicien camerounais Arthur Zang qui a récemment mis au point un appareil, le Cardiopad, capable de surveiller, même à distance la santé, des malades cardiaques, et dont l'exploitation, avec le concours des autorités de Yaoundé, a été engagée avec la fabrication des spécimens en Chine.
Sinon dans la majorité des cas, "ces inventeurs sont des inventeurs indépendants qui n'ont pas beaucoup de moyens et le plus souvent ils n'arrivent pas à valoriser comme il faut les brevets auxquels ils aboutissent", regrette Mahamed Salem Mamoune, conseiller technique du ministère mauritanien du Commerce, de l'Industrie, de l'Artisanat et du Tourisme.
Résultat: pourtant reconnues utiles du développement de la Mauritanie, les créations déclarées attirent peu les industriels, pour la simple raison que "beaucoup d'hommes d'affaires ne sont pas suffisamment sensibilisés sur la nécessité d'investir dans l'exploitation de ces brevets qui sont surtout d'utilisation locale pour les besoins des populations. Les industriels nationaux n'ont pas beaucoup d'incitation pour développer un partenariat avec ces inventeurs".
Rien d'étonnant que la Mauritanie, comme les autres pays du continent africain, excepté évidemment l'Afrique du Sud, première puissance africaine désormais membre du groupe de pays émergents constitué en outre du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine (BRICS), affiche une forte dépendance dans l'acquisition à grand coût de la technologie étrangère.
Ministre béninoise de l'Industrie, du Commerce et des Petites et Moyennes Entreprises, Madina Séphou résume qu'"on a encore du chemin à faire pour ça : valoriser pour encourager les investissements. Ça veut dire quoi ? Lorsque vous faites des inventions, il y a de l'argent que vous mettez et pour avoir en retour ces sous, il faut que ça soit exploité du point de vue commercial".
Pour François Galley, le très faible niveau d'appropriation des inventions tient du fait qu'"il n'y a pas la sensibilisation préalable, et même les industriels ne peuvent pas le faire dans la mesure où ces inventions doivent passer d'abord dans un cercle, au niveau de la recherche, parce que l'Etat doit les encadrer, voir si effectivement les trouvailles ou les innovations que les gens font, sont valables". Selon lui, "c'est à partir de là qu'on peut les apporter auprès des investisseurs pour qu'ils puissent les encadrer et les mettre en pratique. Il y a une synergie qui doit se faire entre les industriels, les autorités compétentes gouvernementales et l'inventeur". A cause de cette absence de synergie et de partenariats, bien des inventeurs africains peinent à sortir du cadre artisanal. C'est le cas de beaucoup d'inventions à base de produits agricoles en Mauritanie par exemple, contrairement aux systèmes d'extraction et d'irrigation de l'eau exploités dans les régions intérieures du pays, rapporte Mahamed Salem Mamoune.
Une autre caractéristique de la propriété intellectuelle africaine réside dans le fait que certaines grandes entreprises industrielles développent des innovations mais sans se préoccuper de l'utilité de tirer profit de ces innovations et des améliorations qu'elles apportent à la technologie qu'elles importent.
"Il y a par exemple de grandes entreprises minières mauritaniennes qui ont des ingénieurs qui arrivent à améliorer la technologie importée, malheureusement elles n'arrivent pas à en tirer profit parce qu'elles ne protègent pas ces améliorations, ces innovations et ces équipements", commente encore Mahamed Salem Mamoune.
Parmi une série de décisions, les ministres africains en charge de l'Industrie et de la Culture des seize pays membres de l'OAPI présents aux festivités du cinquantenaire de cet organismes lors d'une conférence tenue du 11 au 13 septembre à Yaoundé ont annoncé leur volonté de créer un fonds de promotion et des entreprises innovantes et des incitations fiscales pour favoriser la recherche scientifique et l'innovation.
Ces initiatives traduisent une préoccupation, celle de "la propriété intellectuelle face au défi de l'industrialisation de l'Afrique" examinée lors de la conférence présidée par le Premier ministre camerounais Philemon Yang.