Le secteur privé se développe en Afrique francophone à un rythme sans précédent. Les entreprises ont la possibilité de contribuer à la lutte contre la pauvreté, les maladies et autres maux de cette région qui est l’une des plus pauvres du monde. Cependant, une bonne partie de cette opportunité est gâchée par les modèles d’affaires qui cherchent à maximiser les gains à court-terme des entreprises en ignorant le coût de leurs opérations aux dépens des communautés et des travailleurs.
Il y a des exemples d’entreprises qui prennent des mesures pour respecter les droits de l’homme, et travaillent pour arriver à un développement inclusif. Toutefois, les entreprises ignorent trop souvent le droit des travailleurs et les communautés.
En marge du Forum des PDG d’Afrique (The Africa CEO Forum) où plus de quatre cents (400) dirigeants d’entreprise et acteurs clés de l’économie africaine se sont réunis à Genève, le Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme (Business & Human Rights Resource Centre) leur lance un appel ainsi qu’aux autres multinationales évoluant sur le continent pour assurer que le développement économique ne contribue pas aux violations des droits de l’homme dans un bulletin sur les entreprises et les droits de l’homme en Afrique francophone qui met en lumière le comportement des entreprises en matière de droits de l’homme dans cette région.
Plus de soixante (60) entreprises dont Areva, CFAO, Chemaf, CNPC, Ernst & Young, Freeport-McMoRan, Glencore, Olam, Sonatel et Total sont mentionnées dans le bulletin. Si beaucoup de cas concernent les industries extractives, une hausse vertigineuse des inquiétudes liées aux entreprises agro-industrielles présentes dans la région a été notée ces deux dernières années. Cela reflète en partie les acquisitions massives de terre récentes pour la culture de l’huile de palme, la canne à sucre, les biocarburants et d’autres cultures, souvent sans le consentement des communautés locales concernées, et dans le contexte d’une croissance de l’insécurité alimentaire sur le continent.
Abus : des inquiétudes majeures pour la Société Civiles
L’écrasante majorité – 85% – des inquiétudes pour lesquelles nous avons cherché des réponses concernent les industries extractives, en premier lieu le secteur minier, ensuite les secteurs pétrolier et gazier sur des questions telles que :
- le rôle des compagnies minières dans les zones de conflit et les efforts des entreprises et des organisations patronales telles que la Chambre de commerce des Etats-Unis pour minimiser les exigences imposées aux sociétés de communiquer ce qu’elles font sur la question des « minerais de conflit » en RDC où, selon les Nations Unies, depuis 1998, plus de cinq (5) millions de civils sont morts dans le conflit partiellement financé par les revenus tirés du commerce des minerais ;
- les impacts sur la santé des communautés, leur habitat, leurs conditions de vie dans des pays comme le Gabon, le Niger, la RDC, le Sénégal et le Tchad ;
- le traitement des travailleurs qui sont parfois battus, et leurs droits syndicaux bafoués comme au Cameroun, en Guinée et au Tchad. Ils sont également confrontés à de mauvaises conditions de travail, et
- les questions de l’adéquation de la contribution des entreprises au développement local et national, comme c’est le cas d’Areva au Niger, et de l’évasion fiscale par les entreprises en RDC et ailleurs.
Le plus grand changement de ces derniers temps vient du secteur agro-industriel. De 2005 à 2011, nous n’avons obtenu qu’une seule réponse auprès d’une compagnie de ce secteur suite à des inquiétudes soulevées par la société civile. Durant ces deux dernières années, le taux a drastiquement augmenté, avec treize (13) cas de ce genre en 2012 et en 2013.
A titre d’exemple, au Cameroun, des communautés locales ont affirmé que le projet de plantation de palmiers à huile de Herakles Farms entrainerait le déplacement de milliers de personnes loin de leurs terres, seuls moyens de leur subsistance, et sans une compensation adéquate. Des ONG locales auraient également été harcelées et persécutées à cause de leur opposition au projet. Herakles a répondu en disant que sa plantation n’entrainera le déplacement d’aucun village ou ferme, et qu’il a engagé un dialogue durable avec les communautés affectées. Le projet a connu des retards, sa superficie initiale a été réduite et diverses décisions judiciaires négatives ont été rendues à son encontre. Il a aussi connu d’autres problèmes, et tout cela est en partie dû à l’opposition des communautés environnantes. La très grande critique à l’égard de ce secteur vient également du fait de l’impatience grandissante de la société civile face à l’exploitation des enfants dans les plantations de cacao – phénomène vu comme étant la preuve de l’inefficacité des réponses apportées par les entreprises et les gouvernements.
Responsabilité sociale des entreprises : des exemples positifs
Certaines entreprises extractives contribuent également à la promotion des droits de l’homme, au développement et à la bonne gouvernance. En plus des projets de développement local, beaucoup de sociétés participent maintenant à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), favorisant ainsi la transparence des paiements qu’elles effectuent auprès des Etats. Il s’agit d’un progrès important même si on note encore une certaine résistance aux appels de la société civile pour une vérification plus détaillée et plus indépendante des données qu’elles publient.
Le bulletin mentionne des exemples positifs venant également du secteur de l’agriculture pour montrer que dans ce domaine aussi, les impacts peuvent être améliorés. Le bulletin mentionne des exemples positifs qui doivent être répétés et servir de fondement à d’autres initiatives. Certains montrent comment les modèles d’affaires fondamentaux des entreprises opérant en Afrique francophone peuvent être améliorés. Par exemple, le projet de Mali Biocarburant, qui donne des fonds propres dans le projet aux fermiers locaux ; comprend les cultures vivrières ainsi que les biocarburants ; et protège les droits fonciers des fermiers. D’autres actions pourraient transformer les problèmes économiques et sociaux qui empoisonnent l’Afrique, comme l’initiative mPedigree, par laquelle les entreprises informatiques et pharmaceutiques se sont jointes au x gouvernement s pour permettre aux consommateurs africains de distinguer facilement les vrais médicaments des contrefaçons dangereuses.
« Nous nous attendons à voir à l’avenir le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) jouer un plus grand rôle dans les droits de l’homme en Afrique francophone », lit-on dans le rapport. Déjà, certaines compagnies telles que Microsoft et Zain jouent un rôle positif sur les questions allant de l’éducation à la santé mobile (m-santé). Mais les TIC doivent éviter d’être complices dans des actes de surveillance abusive et autres violations susceptibles d’être commis par les gouvernements.
11 recommandations
Des changements fondamentaux sont nécessaires dans le modèle économique des entreprises des secteurs extractif et agro - industriel opérant dans la région. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) doit éviter de s’impliquer dans des violations des droits de l’homme. Le bulletin fait onze recommandations pratiques aux entreprises pour aller dans la bonne direction – y compris de mener des évaluations d’impacts sur les droits de l’homme, et d’adhérer aux Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l’homme et de les appliquer dans leurs activités. Il fait également des recommandations aux gouvernements africains et étrangers, aux organisations internationales et à la société civile.
Le Dr Aliou Diouf, qui est le Chercheur et le Représentant pour l’Afrique francophone du Centre de Ressources mais aussi l’auteur principal de ce bulletin, a déclaré :
« Les entreprises ont commencé à apprécier leurs obligations à contribuer au développement local et national, à la bonne gouvernance et à la transparence mais également à éviter de porter préjudice aux communautés. Mais très souvent aussi, les entreprises ignorent les droits des communautés locales en détruisant leurs maisons et en exploitant leurs terres sans compensation adéquate ou en utilisant les forces de sécurité pour réprimer violemment leurs manifestations. Face à la croissance rapide de l’investissement en Afrique francophone, le Forum des PDG de l’Afrique représente une opportunité pour les chefs d’entreprises d’affronter ces questions urgentes mais aussi de montrer un nouvel engagement pour le respect des droits de l’homme. »
Gregory Regaignon, le Directeur de recherche du Centre de Ressources, indique qu’« Il n’y a plus de doute sur la question de savoir si les entreprises sont obligées de respecter les droits de l’homme et si les gouvernements doivent protéger les personnes contre les abus impliquant des sociétés. Les cas présentés dans ce bulletin montrent les risques à la fois pour les entreprises et pour les communautés lorsque les sociétés ne respectent pas les droits de l’homme. Et aucune société ne peut prétendre ignorer comment le faire – les entrepreneurs doivent seulement consulter tous les outils pratiques et d’orientation ainsi que les exemples de mise en œuvre par les compagnies des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme sur le site internet du Centre de Ressources, et les mettre en pratique. »
Le progrès nécessaire va exiger l’engagement de toutes les parties prenantes – en particulier de la société civile active sur le terrain, pour faire mieux connaitre les impacts des entreprises et pour encourager des améliorations de manière constructive.