En mars dernier, la Banque centrale du Zimbabwe a ajouté le yuan ou renminbi (RMB), la devise chinoise, à la liste des monnaies de sa corbeille de devises, avec le yen japonais, le dollar australien et la roupie indienne. Le Zimbabwe a ainsi rejoint la liste des pays africains qui utilisent la devise chinoise comme l’une de leurs monnaies officielles.
En 2009, suite à une inflation record qui l’a privée de sa valeur, le Zimbabwe a abandonné sa monnaie, le dollar zimbabwéen. Depuis cette date, le pays utilise une corbeille de devises dominée par le dollar américain. À l’annonce de la décision prise par la Banque de réserve du Zimbabwe d’adopter le yuan et plusieurs autres devises, sa directrice par intérim d’alors, Charity Dhliwayo, justifiait cette décision par le fait que les échanges et les investissements de son pays avec la Chine, l’Inde, le Japon et l’Australie « avaient augmenté de manière appréciable. »
La Chine est le troisième partenaire commercial du Zimbabwe après l’Afrique du Sud et l’Union européenne et jusqu’à récemment, elle était aussi le premier importateur de tabac zimbabwéen. En 2013, le commerce entre la Chine et le Zimbabwe s’élevait à 1,1 milliard de dollars.
Gift Mugano, expert en échanges commerciaux et professeur à l’Université métropolitaine Nelson Mandela, a expliqué à Afrique Renouveau que si l’ajout du RMB chinois à cette corbeille de devises allait consolider les relations bilatérales, elle ne renforcerait pas forcément le commerce entre les deux pays. Pour lui, cette décision aidera surtout la Chine dans son projet plus large de populariser sa devise.
Gift Mugano réfute la déclaration de politique monétaire de la Banque centrale de janvier 2014 et pense que, contrairement à ce que prétend ce document, le RMB ne devrait pas aider le Zimbabwe à régler ses problèmes de liquidités, car le niveau des échanges entre les deux pays n’a pas encore atteint celui qui permettrait à sa masse critique d’injecter des RMB en quantité suffisante dans le marché zimbabwéen, et plus généralement en Afrique.
« Il est intéressant de noter que la dimension psychologique de la question des devises est telle que les agents économiques qui étaient habitués au dollar américain sont inquiets lorsqu’on change de devise de référence. Il s’agit là d’une machinerie complexe, et c’est tout l’enjeu auquel le RMB est confronté en Afrique. » Gift Mugano donne ainsi l’exemple du rand sud-africain qui, du fait de sa volatilité, n’a pas remplacé le dollar comme monnaie dominante, en dépit du fait que l’Afrique du Sud est le premier partenaire commercial du Zimbabwe et participe à au moins 40% de ses exportations et 60% de ses importations.
Wang Yi, chargé des affaires commerciales et consulaires à l’ambassade de Chine à Harare, a un avis différent sur les perspectives du RMB au Zimbabwe. À Afrique Renouveau, il explique que l’adoption de la monnaie chinoise par Harare aura un effet positif sur les investissements de la Chine vers le Zimbabwe. Ces investissements s’élevaient à quelque 600 millions de dollars l’année dernière.
« Cette option devrait permettre de renforcer les échanges entre nos deux pays et de réduire leurs coûts, assure-t-il. Les entreprises chinoises ont bien accueilli cette décision, mais son succès dépend de son acceptation par les entreprises au niveau local. »
Selon un nouveau rapport du Programme de comparaison internationale, une initiative de statistique affiliée à la Banque mondiale, la Chine pourrait dès cette année dépasser les Etats-Unis en tant que première économie mondiale. Pour Wang Yi, il est donc clair qu’un nombre croissant de pays devraient choisir le RMB pour éviter des pertes de change dans leurs échanges avec la Chine.
Pour Zinanayi Steve Zhao, vice-président de la Fédération chinoise du Zimbabwe nouvellement créée, et chargée de faire du lobbying pour les entreprises chinoises dans ce pays, le RMB sera un outil commode pour les Chinois, même si son utilisation reste réduite pour l’instant : c’est une devise forte, déjà utilisée quotidiennement dans de nombreux pays asiatiques pour leurs transactions. « La Chine n’est présente en Afrique que depuis peu. Le RMB a besoin de temps. Plus les échanges augmenteront, plus la devise sera demandée. »
En 2012, Li Dongrong, le gouverneur adjoint de la Banque populaire de Chine, a déclaré devant un forum de gens d’affaires à Beijing que face à une demande renforcée et à l’essor de l’économie africaine, la Chine allait promouvoir le RMB pour les règlements et les investissements avec l’Afrique.
Dans plusieurs pays d’Afrique, dont le Ghana, les Banques centrales se servent du RMB comme monnaie de règlement et de réserve. Cette année, la Banque centrale du Nigéria aurait annoncé son intention de transférer une partie supplémentaire de ses réserves de devises étrangères du dollar vers le yuan, du fait d’une plus grande attractivité du RMB dans les échanges au niveau mondial. Le dollar américain représente près de 85% des réserves en devises du Nigéria. En mars dernier, la Banque de réserve sud-africaine a signé un accord avec la Banque populaire de Chine en vue d’investir dans le marché chinois des obligations.
À Maurice aussi la demande de devises chinoises progresse ; et si la Banque de Zambie n’a pas encore inclus le RMB dans ses réserves, elle s’est engagée à en faire un usage plus fréquent dans ses règlements commerciaux avec la Chine. Lors d’une visite en Chine en août dernier, le président kényan Uhuru Kenyatta s’est engagé à accueillir une chambre de
compensation du RMB.
À mesure que les liens sino-africains se renforcent, plusieurs banques centrales africaines demandent à la Banque centrale chinoise de les autoriser à procéder à des échanges de devises – autrement dit, à l’échange d’un prêt réalisé dans une devise vers une autre et au placement d’une partie de leurs réserves en RMB. La Chine est depuis 2009 le premier partenaire commercial de l’Afrique. Les échanges entre la Chine et l’Afrique ont atteint 210,2 milliards de dollars en 2013, en hausse de 5,9 % par rapport à l’année précédente, selon les données de la Chambre chinoise de commerce international.
Pour Gift Mugano, la crise économique actuelle a incité la Chine à pousser l’internationalisation du RMB. Beijing encourage désormais l’utilisation de sa monnaie dans le commerce international, les accords d’échange de devises entre banques centrales, ou encore les dépôts bancaires et les transactions sur obligations.
« [Beijing] a signé plusieurs accords bilatéraux d’échanges de devises, accru les règlements de transactions commerciales internationales en RMB, et autorisé de nouvelles formes d’opérations en RMB sur le marché offshore de Hong-Kong », explique Gift Mugano.
Selon lui, parmi les principaux obstacles à l’intensification de l’internationalisation de la monnaie chinoise figurent le manque de flexibilité du taux de change et un accès limité aux marchés des capitaux. C’est aussi, explique-t-il, ce qui limite le rôle du RMB en tant que devise véhiculaire globale, un rôle toujours assumé, de manière unique, par le dollar américain dans le monde de la finance internationale : un rôle de monnaie de réserve mondiale, largement utilisée dans les transactions internationales.
« La plupart des banques centrales dans le monde détiennent des réserves en dollars américains. En outre, nombreux sont les petits pays qui choisissent soit de rattacher le cours de leur devise à celui du dollar, soit de ne pas posséder leur propre monnaie, et d’utiliser le dollar à la place comme c’est le cas pour le Zimbabwe. Ceci contribue à maintenir le statut du dollar comme première devise mondiale », explique Gift Mugano.
Selon l’outil de suivi du RMB Swift , plus de 1000 banques dans 85 pays se servent du RMB pour leurs transferts Swift. Le système « Swift » (pour Société internationale de télécommunications financières interbancaires – Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) permet aux entreprises de réaliser des transferts d’argent pour leurs transactions financières au niveau mondial. Les données récentes de Swift montrent que le RMB est de plus en plus utilisé dans les transactions financières, au point d’être devenu la deuxième monnaie la plus utilisée sur le marché.
L’augmentation rapide du commerce chinois avec l’Afrique offre un terrain fertile et une demande accrue de règlements en RMB. Son utilisation reste limitée, mais il est certain que la devise chinoise pénètre progressivement le marché africain.