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L agriculture moderne est une machine qui requiert beaucoup d huile dans ses rouages, affirment les critiques. Si le système de distribution montre des signes de faiblesse, comme ce fut le cas au Zimbabwe, tous les gains de productivité peuvent être réduits à néant en seulement trois ans, car les semences hybrides ont besoin d être replantées tous les ans, explique James McCann, professeur d histoire africaine à l Université de Boston et auteur de « Le maïs et le grâce : la rencontre entre l Afrique et le germe d un monde nouveau, 1500-2000 » (Harvard, 2005).
McCann a en effet décrit comment le maïs est devenu la première culture d Afrique précisément parce qu il ne requiert pas d attentions extraordinaires pour pousser une caractéristique importante dans des zones déchirées par la guerre, les conflits ethniques et autres bouleversements.
Certains experts assurent qu un accompagnement minutieux sera nécessaire pour éviter de sérieux dégâts collatéraux : dommages environnementaux ou même une précarité agricole plus grande encore que celle d aujourd hui.
Ngongi explique cependant que l agriculture africaine est à un niveau si bas aujourd hui que même des améliorations modestes peuvent avoir un impact immense. Les fermiers utilisent par exemple seulement 8 à 9 kilos d engrais par hectare dans la région sub-saharienne, contre 150kg en Inde et 300 en Chine. Passer simplement de 9 à 30kg pourrait augmenter drastiquement les rendements, assure l agronome basé à Nairobi.
D autres types de changements pourraient également conduire à des gains de productivité majeurs, d après Ngongi et Sagna. Au Sénégal par exemple, l amélioration des systèmes d irrigation, des routes et des autoroutes, un accès plus large à l électricité et à l eau potable et une campagne mieux entretenue pourrait faire avancer l agriculture, explique Robert Sagna.
Le miracle Malawite
Un programme gouvernemental sur la productivité au Malawi, au sud de l Afrique, a d ailleurs déjà démontré que des gains réels étaient possibles.
Pendant dix ans, le petit et enclavé Malawi, à peu près de la taille de la Grèce, a été constamment client de l aide alimentaire. Après la mauvaise récolte de 2005, le président Bingu wa Mutharika a finalement décidé que cela n était plus possible.
Passant outre les objections du FMI, opposé à l idée de subventionner les fermiers malawites (et ce bien que les soutiens de Mutharika aient souligné l aide massive que reçoivent les agriculteurs américains, européens et japonais), Mutharika a mis en place un programme permettant de produire des engrais et des semis hybrides à un prix subventionné.
Résultat : une récolte 2006 deux fois plus importante que celle de 2005, et une récolte 2007, une fois le programme renouvelé, plus grande encore. Depuis cinq ans, les Malawites obtiennent des récoltes de plus en plus importantes et aujourd hui ce pays pauvre et densément peuplé, qui compte 15 millions d habitants, exporte des denrées alimentaires vers ses voisins. Mieux encore, il exporte vers une douzaine de pays africains une stratégie : certains la nomment le « miracle malawite ».
Des sceptiques, dont l ONG GRAIN qui milite dans le monde entier pour un développement par le bio pour les petits producteurs, explique que le programme a des inconvénients majeurs, encourageant en particulier l usage d engrais chimique et de semis hybrides qu ils considèrent comme contraire aux bonnes pratiques du développement durable.
D autres agronomes cependant y voient un important progrès : « le Malawi apporte une preuve éclatante de la possibilité d une révolution verte,» dit ainsi Ngongi.
« Le miracle malawite peut servir d exemple pour beaucoup de pays africains, » approuve Sagna. « Cela a tout aussi bien marché en Inde et au Bengladesh. Fournir aux petits producteurs un meilleur équipement, une meilleure formation et un accès plus large au crédit peut améliorer de manière rapide la production. »
Attention aux dommages collatéraux
Bien sûr, la plupart des révolutions ont des conséquences imprévues, et la révolution verte n est sans doute pas une exception, rappellent certains. Depuis l Ethiopie, McCann met en garde : se concentrer sur un aspect du problème seulement peut mener à un résultat catastrophique. « Quand on se concentre seulement sur l augmentation du rendement ou de la résistance des cultures aux maladies ou à la sécheresse & Mieux vaut se préparer à des conséquences inattendues, » explique-t-il.
Il évoque par exemple un cas qu il étudie actuellement pour son livre, où un groupe humanitaire a donné des semis de maïs hybrides et des engrais à un groupe de fermiers éthiopiens. Ceux-ci ont adoré le grain, qui a fait passer leur production de 2 à 8 tonnes par hectare. Mais la nouvelle variété a eu un effet aussi terrible qu inattendu : elle a généré beaucoup plus de pollen, qui s est avéré une nourriture de choix pour toute sorte de larves, celles de moustiques en particuliers, un problème des plus sérieux dans une région où sévit le paludisme.
« C est comme jeter de l essence sur un incendie, » explique McCann. « Cela ne cause pas la malaria, mais ça accélère son développement. » Dans les zones où cette variété particulière est utilisée, dit-il, les gens contractent la maladie à un rythme trois fois plus élevé que la moyenne de la région.
Bien que ce phénomène soit connu des spécialistes, ce fut une surprise totale pour les agronomes, explique encore McCann . « Les professionnels de la santé ne parlent jamais aux professionnels de l agriculture », dit il.
Pour lui, la leçon à retenir de tout ça n est pas forcément qu il faut en rester aux vieilles méthodes de production, mais plutôt qu il faut agir en étant bien au fait des impacts potentiels, autres que l augmentation du rendement, d une nouvelle variété. « Essayer bien sûr, mais & en étant familier des données agronomiques et écologiques, pas seulement des seules caractéristiques scientifiques de ces nouveaux semis, » précise-t-il.
McCann rappelle que d immenses difficultés surgissent souvent lorsque l on applique des solutions simples à des problèmes complexes, comme la faim ou le paludisme.