"Je suis de la classe moyenne. Certainement."Sonia Anoh, une jeune Ivoirienne indépendante de 30 ans.
Anoh est titulaire d'une maîtrise en marketing, gagne 1.470 dollars par mois, vit seule, possède une voiture et négocie maintenant l'achat d'une maison.
Mais pendant qu’Anoh parle librement de sa situation économique, pas beaucoup d'autres Ivoiriens se vantent aussi facilement d'être de la classe moyenne dans ce pays d'Afrique de l'ouest.
Définir la "classe moyenne" africaine est un défi. Pour la Banque mondiale, elle comprend tout le monde qui gagne entre deux et 20 dollars par jour. C'est une gamme qui est beaucoup trop large et bien que la Banque africaine de développement utilise la même tranche de revenu, elle souligne la nécessité de subdiviser la classe moyenne en deux.
La classe moyenne supérieure, par cette définition, gagne entre 10 et 20 dollars par jour, et une classe inférieure vulnérable est celle qui gagne entre deux et quatre dollars par jour. Cette dernière est juste légèrement au-dessus du seuil de pauvreté de 1,5 dollar par jour et peut s’y glisser facilement de nouveau.
La Côte d'Ivoire avait l'habitude d'avoir la plus forte classe moyenne en Afrique de l'ouest jusqu'à ce qu'elle ait été gravement touchée par la crise économique post-1980 et la récente crise politique post-électorale de 2010 à 2011. Plus de 3.000 personnes sont mortes dans les violences qui ont suivi le refus de l'ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, de reconnaître la victoire de l'actuel président, Alassane Ouattara. Aujourd’hui, la classe moyenne ivoirienne représente plus de deux millions des 23 millions d'habitants de ce pays, selon les chiffres du gouvernement.
Alors qu’il se peut que la classe moyenne de la Côte d'Ivoire ait diminué, il y a des signes que ce groupe économique semble commencer lentement à augmenter. Mais son expansion reste limitée par deux décennies de problèmes économiques et des conflits.
Selon l'Institut des études des marchés émergentes, basé à Moscou, en Russie, la classe moyenne africaine augmentera trois fois pour passer de 32 millions en 2009 à 107 millions d’ici à 2030 - la plus forte augmentation dans le monde. Et avec la Banque mondiale qui prédit que l'économie ivoirienne va croître au taux de 8,2 pour cent pour 2014, il y a de l’espoir que ce boom sorte de la pauvreté beaucoup plus de gens du pays.
En croissance ou en disparition ?
"Construire une classe moyenne forte était une préoccupation importante pour l'ancien président, Félix Houphouët-Boigny (1905-1993)", explique à IPS, le professeur Marcel Bénié Kouadio, économiste et doyen de la Faculté universitaire privée d'Abidjan.
"A l'époque, [la classe moyenne] signifiait essentiellement les fonctionnaires, les médecins, les magistrats et des autres travailleurs libéraux".
"Houphouët-Boigny [a mis en œuvre] plusieurs politiques visant à transformer une classe moyenne dépendante de l'Etat en une classe entrepreneure. L'Etat a favorisé la classe moyenne pour qu’elle investisse dans les plantations de cacao ou d'huile de palme comme un moyen pour construire une classe moyenne qui serait également en mesure de produire des biens".
Jean Coffie est un fonctionnaire à la retraite et un exemple de ce dont Houphouët-Boigny rêvait pour la classe moyenne. Il est un entrepreneur qui vit de ses investissements.
"Ma pension ne suffit pas pour me permettre de vivre uniquement avec. Mais j'ai investi dans l'hévéa [des arbres à caoutchouc]. Le revenu est aléatoire, mais je gagne encore plus avec cela que ce que me procure ma pension du gouvernement", affirme-t-il à IPS.
Avec cet argent supplémentaire, il aide à payer les études de son petit-fils en France. Mais Coffie ne tarde pas à souligner que la vie d'un Ivoirien de la classe moyenne n'est pas ce qu'elle était.
"A l'époque [sous la présidence de Houphouët- Boigny], nous avions beaucoup de soutien pour nous développer. L’enseignement supérieur et les soins de santé étaient plus accessibles. Il se peut que nous soyons encore de la classe moyenne, mais nous avons perdu tous nos privilèges".
Bénié Kouadio est du même avis.
"La classe moyenne a diminué. Il y a vingt ans, les enseignants et les médecins étaient de la classe moyenne. Aujourd’hui, ils ne peuvent pas s’acheter une nouvelle voiture. La classe moyenne ivoirienne a perdu son pouvoir d'achat".
Une classe de consommateurs
Le pouvoir d'achat est un mot-clé. Les comptables diffèrent des économistes dans leur compréhension de la classe moyenne; plutôt que d'analyser les revenus, ils regardent les revenus disponibles.
Etre de la classe moyenne c’est trouver le "juste équilibre", où les gens sont capables de dépenser de l'argent pour des choses autres que pour la survie, indique un rapport du cabinet d'expertise comptable, 'Ernst & Young'.
Marcel Anné est le directeur général de la chaîne de supermarchés 'Jour de Marché', qui est située au centre-ville d'Abidjan, la capitale économique du pays. Il a une bonne vue de la classe émergente de consommateurs.
"En fait, ce supermarché est moins bondé qu'il ne l’était, mais il s’agit plus du changement des habitudes des consommateurs. C’était [un] endroit central pour la classe moyenne. Les fonctionnaires achetaient des choses ici et rentraient chez eux", souligne-t-il à IPS.
La classe moyenne ici est devenue un groupement plus diversifié et complexe qui n'est plus nécessairement composé seulement de fonctionnaires. La privatisation des entreprises, le besoin d’une main-d'œuvre qualifiée dans les domaines des technologies de l’information et sur les nouveaux champs de pétrole et de gaz ont diversifié ce groupement économique.