Peu d’Africains, dont la majorité ne peut s’offrir plus d’un repas par jour, connaissent l’existence des Maldives, une île de l’océan Indien. Pourtant, ce pays insulaire, destination de vacances à la mode chez les riches et les célébrités, est le lieu privilégié des vacanciers africains en quête de repos loin de chez eux.
Heshan de Silva, jeune millionnaire kényan, fait partie de ceux-là. « Les Maldives, c’est ma destination préférée pour les vacances. J’y vais tous les ans », dit-il. Il n’est pas le seul millionnaire africain à y séjourner. Les Africains branchés fréquentant les magnifiques plages extrêmement onéreuses des Maldives sont chaque fois plus nombreux. Pendant des années, seuls les globe-trotteurs d’Europe et des États-Unis y allaient en masse.
M. de Silva, fondateur de The de Silva Group, une société de financement par capitaux propres, représente la nouvelle physionomie d’une culture de l’opulence qui se développe rapidement au milieu de la pauvreté ambiante des capitales africaines. Comme certains de ses compatriotes, il est embarrassé par grands contrastes, qu’il tente de réduire par l’entrepreneuriat social et solidaire. M. de Silva représente le nouvel Africain qui réussit, avec classe, luxe et fortune. Outre ses vacances aux Maldives, il conduit des voitures haut de gamme et possède des maisons au Kenya, en Afrique du Sud, aux États-Unis et au Sri Lanka.
Aux quatre coins du continent, de nombreux signes indiquent que l’opulence y a élu domicile. Selon New World Wealth, un cabinet-conseil basé au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, le continent compte près de 165 000 personnes très riches détenant ensemble plus de 660 milliards d’actifs nets, soit près de 28 % du patrimoine total détenu en Afrique. De 2000 à 2013, les personnes très riches ont augmenté de plus de 150 % en Afrique, contre 73 % à l’échelle mondiale. En 2013, l’Afrique du Sud était en tête de liste avec 48 800 millionnaires en dollar, suivie par l’Égypte avec 23 000, le Nigéria avec 15 900 et le Kenya avec 9 000. Les habituels géants économiques africains ne sont toutefois pas les seuls à avoir vu grimper leur nombre de millionnaires.
Deux fois plus de millionnaires
Étonnamment, l’Éthiopie, un pays qui a longtemps reflété les afflictions de l’Afrique à cause de la famine dévastatrice de 1984, génère plus de millionnaires et plus vite que les autres pays africains. Figurant parmi les dix pays dont l’économie progresse le plus rapidement au monde, l’Éthiopie a plus que doublé son nombre de millionnaires en dollar : de 1 300 en 2007 à 2 700 en 2014.
À mesure que le nombre de millionnaires augmente en Afrique, les sociétés internationales du secteur du luxe et de la mode pénètrent les nouveaux marchés de consommation. Dernièrement, le constructeur de voitures de sport Porsche, le groupe français de produits de luxe LVMH et Louis Vuitton, la marque italienne de maroquinerie et de mode Gucci et le bijoutier danois Pandora, entre autres, ont ouvert des établissements dans plusieurs pays d’Afrique.
Pour ces sociétés, le continent entre dans la catégorie des marchés dynamiques offrant des possibilités intéressantes, avec un rendement sur l’investissement supérieur à celui des marchés matures d’Europe et d’Amérique du Nord.
Avec sa jeune population d’un milliard d’âmes et une économie qui devrait doubler avant 2025, de 2 000 à 4 000 milliards de dollars, l’Afrique s’est révélée être la nouvelle frontière de la croissance et des opportunités. « L’Afrique n’est plus le continent que le monde regarde avec pitié. Elle produit actuellement de la richesse et le monde y voit désormais des opportunités », note Lyal White, le directeur du Centre des marchés dynamiques de l’Institut Gordon de science des affaires, rattaché à l’Université de Pretoria en Afrique du Sud.
Une opinion partagée par Michael Musau, le directeur général d’Emerging Africa Capital, une société de gestion de patrimoine basée à Nairobi, la capitale du Kenya. « La pauvreté est encore profondément enracinée en Afrique, mais le continent est en train de changer », dit-il.
Les millionnaires africains amassent une fortune colossale provenant de secteurs lucratifs tels que les télécommunications, les services financiers, la vente au détail, la fabrication, l’importation et l’exportation, l’agriculture et les produits de base. Dans le même temps, le continent semble perdre la bataille de l’égalité des revenus. Les recherches de New World Wealth révèlent effectivement que le fossé se creuse, car le nombre de millionnaires croît plus vite que la classe moyenne.
L’Afrique est la deuxième région mondiale la plus inéquitable, avec six des dix pays les plus inégaux au monde. « L’inégalité nous pousse à nous interroger, “L’Afrique est-elle en plein essor ou le monde traverse-t-il une mauvaise passe ?”», indique M. White.
Le nombre croissant de millionnaires cherchant des moyens d’investir leur fortune témoigne du fait qu’une élite en rapide expansion dispose d’un revenu disponible élevé dépensé non seulement dans des produits de luxe et un style de vie opulent, mais également dans des investissements commerciaux. « Le nombre de millionnaires augmente considérablement en Afrique et la plupart cherchent des domaines de placement », explique M. Musau.
Malgré l’exposition publique de leur fortune, la présence de 58 millions d’enfants africains de moins de cinq ans rachitiques et sous-alimentés, le taux élevé de mortalité maternelle et post-infantile et le faible accès à l’eau potable et à l’assainissement, ainsi qu’aux services sanitaires et scolaires, ont obligé les riches à restituer une partie de leur fortune en créant des emplois et en lançant des initiatives philanthropiques.
« Il est sciemment dérangeant d’être riche au milieu de la pauvreté et de rester sans rien faire », déclare M. de Silva, avant d’ajouter que sa société se compose d’une branche sociale prêtant à taux zéro pour la création de jeunes pousses.
Les riches et la philanthropie
À plus grande échelle, les milliardaires africains se sont inspirés de quelques-unes des personnes les plus riches de la planète, comme Bill Gates, et ont créé des fondations grâce auxquelles ils injectent des millions de dollars dans la philanthropie. Aliko Dangote, le fondateur nigérian du plus grand conglomérat industriel africain, le Dangote Group, a récemment annoncé qu’il ferait don de 1,2 milliard de dollars à la Dangote Foundation pour intensifier l’aide à l’éducation, à la santé et à l’autonomisation des jeunes. Patrice Motsepe, un magnat de l’exploitation minière sud-africain pesant près de 2,5 milliards de dollars, s’est engagé à faire don d’au moins la moitié des fonds générés par les actifs de sa famille afin d’améliorer la vie des pauvres et des marginalisés de son pays.
Malgré des réalités contrastées en Afrique, l’industrie mondiale de la mode et du luxe ne peut ignorer le continent dans sa quête de profits et de croissance. Selon Bain & Company, le premier cabinet de conseil au monde pour l’industrie internationale des produits de luxe, l’industrie a pénétré un territoire pouvant aisément être qualifié de « nouvelle norme », car les grands marchés d’Europe, de Russie, des Amériques, du Japon, de la Chine et de l’Asie-Pacifique battent de l’aile et la croissance ne peut être garantie que par de nouveaux marchés.
Le marché du luxe africain, évalué à 4 milliards de dollars, ne représente encore qu’une infime partie des 280 milliards de dollars de valeur mondiale. Pour les dix ans à venir, néanmoins, le continent sera le deuxième moteur de croissance après le Moyen-Orient.