L’analyse montre que les investissements dans les nouvelles entreprises semencières locales pourraient renforcer la rentabilité de la production alimentaire des petites exploitations africaines.
Selon un nouveau rapport publié aujourd’hui au Grow Africa Investment Forum en marge du Forum économique mondial sur l’Afrique, les entreprises semencières locales africaines qui participent à un programme visant à offrir des semences à haut rendement aux petits producteurs à travers tout le continent sont collectivement devenues les plus grands producteurs de semences en Afrique sub-saharienne. L’analyse réalisée par l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) montre que 80 petites et moyennes entreprises semencières africaines de 16 pays différents sont en voie de produire plus de 80.000 tonnes de semences certifiées en 2014.
« La forte croissance que les entreprises semencières locales ont enregistrée en très peu de temps témoigne de l’esprit d’entreprise qui se répand dans les communautés à travers l’Afrique et de la demande refoulée de variétés améliorées à haut rendement chez les petits producteurs africains », a déclaré le Dr Joe DeVries, directeur du Programme pour les systèmes semenciers en Afrique (Program for Africa’s Seed Systems – PASS) de l’AGRA.
En 2007, l’AGRA a lancé le programme PASS pour insuffler une nouvelle énergie au secteur africain des semences commerciales qui ne parvenait pas à assurer un approvisionnement régulier en semences de variétés améliorées adaptées aux conditions locales aux agriculteurs africains, une chose pourtant évidente pour les autres agriculteurs dans le reste du monde. Le marasme de la production de semences commerciales est souvent cité comme l’une des principales raisons pour lesquelles les rendements par hectare en Afrique pour les cultures vivrières comme le maïs sont jusqu’à 80 pour cent inférieurs à ceux obtenus par les agriculteurs des autres continents.
Selon le rapport « Semer les germes d’une révolution verte en Afrique » (Planting the Seeds of a Green Revolution in Africa), PASS a commencé par travailler avec une poignée d’entreprises qui produisaient au total 2.000 tonnes de semences environ. Aujourd’hui, sept ans plus tard, le programme collabore avec quelque 80 entreprises à travers le continent qui produisent des semences certifiées pour toute une gamme de cultures vivrières africaines, notamment le maïs, le manioc, le mil, le riz, le sorgho, les haricots, la patate douce, le niébé, l’arachide, le soja et le pois d’Angole. Ces entreprises se concentrent sur des variétés « soigneusement sélectionnées par les semenciers locaux pour leur compatibilité avec les milieux agricoles africains. »
Par exemple, la société nigériane Maslaha Seeds a été lancée en 2006 et n’a produit que 600 tonnes de semences environ la première année, principalement pour du riz à haut rendement tel que le populaire « nouveau riz pour l’Afrique » (NERICA) élaboré par l’Africa Rice Center et pour une variété de maïs à haut rendement connue comme « hybride ». Mais la société a collaboré avec PASS et d’autres partenaires pour se développer rapidement et aujourd’hui, elle produit des milliers de tonnes de semences par an pour une large gamme de variétés, notamment du sorgho, du mil et du niébé à haut rendement développés spécifiquement pour les conditions de culture nigérianes.
Selon Ibrahim Abdullahi, directeur général de Maslaha Seeds, « le Nigeria peut devenir l’un des plus grands greniers du monde. Permettre à nos agriculteurs d’accéder à des semences certifiées pour des variétés de cultures à haut rendement est essentiel pour atteindre cet objectif ».
Certains éléments indiquent déjà qu’améliorer l’accès aux semences améliorées aide les agriculteurs à produire beaucoup plus en cultivant la même superficie. Une enquête réalisée en 2013 auprès d’agriculteurs de neuf pays a mis en évidence que la majorité des agriculteurs qui ont investi dans des variétés améliorées ont vu leurs rendements augmenter de 50 à 100 pour cent.
Par exemple, 69 pour cent des agriculteurs interrogés au Kenya, 74 pour cent au Nigéria, et 79 pour cent au Mozambique ont déclaré que les variétés améliorées de maïs leur ont permis de doubler la quantité de maïs récoltée par hectare. Par ailleurs, 79 pour cent des agriculteurs ghanéens interrogés ont déclaré avoir doublé leurs rendements de riz, et 85 pour cent des agriculteurs ougandais interrogés ont témoigné de la même augmentation pour le niébé.
Favoriser les entreprises locales pour soutenir le secteur semencier commercial en Afrique
L’analyse du programme de semences de l’AGRA montre que les réussites suivantes peuvent être attribuées à une stratégie axée sur le traitement des maillons faibles de ce que les experts de l’agriculture appellent la « chaîne de valeur » semencière, notamment la formation, la sélection, la production et la distribution.
- Les programmes de sélection financés par l’État et appuyés par l’AGRA depuis 2007 ont lancé 464 nouvelles variétés de 15 grandes espèces cultivées qui ont été spécifiquement développées pour les climats et les sols africains. De nombreux obtenteurs employés au niveau national collaborent avec les phytogénéticiens internationaux du Consortium du CGIAR qui fournissent des stocks reproducteurs et, parfois, des variétés finies. Grâce à des partenariats public-privé avec les entreprises semencières, plus de 300 de ces nouvelles variétés sont déjà disponibles aux agriculteurs par l’intermédiaire de sociétés semencières locales.
- Consciente que de nombreux agriculteurs des zones rurales ne disposent pas d’un magasin de proximité vendant des semences et des engrais, l’AGRA a formé et certifié plus de 15.000 propriétaires de petites entreprises locales pour la vente de fournitures agricoles. Le rapport a constaté que ces petites entreprises avaient un impact important. Aujourd’hui, les « agro-commerçants » appuyés par l’AGRA fournissent 400.000 tonnes de semences et 1 million de tonnes d’engrais par an aux petits producteurs de 16 pays. En outre, ils ont organisé près de 7.000 démonstrations de technologies et 4000 « portes ouvertes des agriculteurs » dans lesquelles les producteurs locaux peuvent examiner des parcelles test pour de nouvelles variétés de cultures.
- A la fin de l’année 2013, l’objectif de l’AGRA consistant à former une nouvelle génération de phytogénéticiens africains se traduisait par 66 scientifiques ayant obtenu un diplôme de doctorat et 135 ayant atteint le niveau master.
Le rapport a également identifié les défis à relever pour que la majorité des petits exploitants agricoles africains aient accès à des semences améliorées, ainsi qu’aux engrais et aux autres intrants nécessaires pour exploiter pleinement leur potentiel de rendement. Par exemple, les pouvoirs publics doivent faciliter la fourniture des semences de base élaborées par leurs programmes publics de sélection et prévoir des incitations fiscales pour favoriser les investissements dans les équipements de transformation, les techniques d’irrigation et les autres infrastructures servant à la production de semences. Par ailleurs, les entreprises semencières locales doivent accéder davantage aux capitaux d’investissement, et les agriculteurs ont besoin d’en savoir plus sur les avantages que présente l’investissement dans des semences de qualité de variétés supérieures.
S’appuyer sur une réussite : l’approche axée sur les entreprises locales et les petites exploitations agricoles
Les pays donateurs considèrent de plus en plus que l’agriculture est essentielle dans la réduction de la pauvreté en Afrique. De nouvelles grandes initiatives sont en train d’être lancées, telles que la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition, un engagement commun des dirigeants africains, des partenaires du secteur privé et des pays donateurs pour sortir des millions de personnes de la pauvreté au cours de la prochaine décennie. Dans le cadre de cette initiative, l’AGRA, avec le soutien de Feed the Future de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), accélère l’adoption de variétés à haut rendement et des technologies complémentaires par les petits producteurs africains à travers le Partenariat d’amélioration des semences et des technologies (Scaling Seeds and Technologies Partnership – SSTP), un projet doté de 47 millions de dollars US et mis en œuvre en Éthiopie, au Ghana, au Malawi, au Mozambique, au Sénégal et en Tanzanie.
« Il est clair que l’augmentation des revenus des petits exploitants et des entreprises locales qui les fournissent est la clé de la prospérité pour des millions de personnes vivant en Afrique sub-saharienne », a déclaré le Dr Richard B. Jones, responsable du PAST à l’AGRA. « Maintenant, nous nous appuyons sur cette réussite en travaillant avec le secteur privé et les pouvoirs publics pour lancer des initiatives nationales qui renforceront considérablement et entretiendront le développement, la production et la distribution de semences de qualité pour des variétés supérieures. »
La discussion sur les avantages d’investir dans la production semencière locale menée dans le cadre du Forum économique mondial sur l’Afrique intervient à un moment où de nombreuses personnes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Afrique, voient l’agriculture comme le possible moteur de la croissance économique à travers le continent. Par exemple, Akinwumi Adesina, ministre nigérian de l’Agriculture et du Développement rural, estime que l’agriculture peut devenir le « nouveau pétrole » du Nigéria et a lancé un programme ambitieux pour augmenter considérablement la production alimentaire de la plus grande économie africaine.
Dans le même temps, cette nouvelle agitation autour de l’agriculture en Afrique fait naitre la crainte qu’une croissance rapide pourrait marginaliser les petits agriculteurs et les entreprises agricoles locales. Les responsables de l’AGRA insistent sur le fait qu’il faudra continuer de mettre l’accent sur le renforcement de la production des petites exploitations et des entreprises locales liées à l’agriculture.
Selon Jane Karuku, présidente de l’ACRA, « quand nous parlons d’une révolution verte unique pour l’Afrique, nous parlons de quelque chose qui est en effet révolutionnaire, c’est-à-dire le développement d’un secteur agricole moderne et hautement productif qui reste axé sur les petites exploitations familiales ». « Notre programme sur les semences a montré que, si on leur donne accès aux ingrédients essentiels de l’agriculture moderne, les petits producteurs africains peuvent rapidement augmenter la production alimentaire et constituer la base de la sécurité alimentaire sur le continent. »