L'Europe n'est pas le seul endroit où l idée d union monétaire a obtenu un soutien politique considérable. C est certainement aussi le cas en Afrique. En fait, il existe déjà de facto une union monétaire (officiellement deux unions monétaires) en Afrique centrale et de l Ouest sous la forme des deux zones franc CFA. En outre, il y a aussi des discussions quant à des unions monétaires en Afrique de l Est et en Afrique australe.
La crise de l euro devrait fournir aux décideurs politiques africains bien des raisons pour ne pas se précipiter vers l union monétaire - même en tenant compte des problèmes de crédibilité des régimes monétaires actuels de nombreux pays africains. L expérience de la zone euro enseigne que si une convergence suffisante en matière économique, financière et politique (et sans doute culturelle) n est pas réalisée entre les membres de l union monétaire, cela peut avoir des conséquences désastreuses.
Un article récent et fort intéressant de Simplice Asongu (1) avertit justement du manque de convergence au sein des possibles zones monétaires d Afrique de l Ouest et d Afrique de l Est, et de la nécessité préalable d une harmonisation institutionnelle et structurelle entre ces pays.
L union monétaire en Afrique de l Est est depuis des années l objectif officiel déclaré de la Communauté d Afrique de l Est (CAE) qui regroupe le Kenya, la Tanzanie, l Ouganda, le Rwanda et le Burundi.
La CAE est une union beaucoup plus lâche que l UE et le simple fait qu un marché intérieur de l Afrique de l Est n a pas encore été pleinement mis en Suvre devrait inciter à la prudence quant à l union monétaire de la CAE. En dépit de cela, le travail sur l intégration monétaire dans la région va de l avant - même si le rythme est beaucoup plus lent que l ambition politique officielle.
Le papier d Asongu montre clairement qu il ne faut pas hâter l union monétaire et que les décideurs politiques devraient plutôt chercher d autres réformes améliorant le commerce et l intégration financière en Afrique de l Est.
Il n est certainement pas évident que les « frontières monétaires » actuelles en Afrique de l Est soient optimales. Le simple fait que les frontières en Afrique sont artificielles (dans une large mesure du fait de l histoire coloniale) pourrait constituer un argument en faveur d unions monétaires entre les différents pays en Afrique, y compris en Afrique de l Est. Cependant, il n y a aucune raison que cette intégration monétaire doive s effectuer par l introduction d une monnaie commune (unique) à la CAE. Il y a même sans doute une meilleure option, privée, du type M-Pesa et autres formes de paiement électronique.
Au cours des deux dernières années M-Pesa («Monnaie Mobile »), un système de paiement pour la téléphonie mobile, est devenue très populaire au Kenya et à bien des égards a conduit à une quasi-privatisation du système monétaire au Kenya. M-Pesa y a clairement le potentiel pour devenir une monnaie parallèle entièrement privatisée. M-Pesa a également été introduite dans d autres pays Est africains, mais le succès y a été beaucoup plus limité, comme en Tanzanie. La principale raison du succès de M-Pesa au Kenya est sans doute le fait que les autorités ne lui ont pas appliqué la réglementation bancaire. M-Pesa (et les systèmes de paiement similaires) est beaucoup plus réglementée dans les autres pays Est africains, ce qui en a très probablement entravé l expansion.
Bon nombre des avantages de l union monétaire pourraient facilement être obtenus en augmentant l utilisation de systèmes de paiement de type M-Pesa à travers l Afrique de l Est. Le principal avantage de l union monétaire est la réduction des coûts de transaction : c est aussi celui des systèmes de type M-Pesa ! Ainsi, si la CAE veut aider l intégration monétaire en Afrique de l Est alors il serait beaucoup plus logique de se mettre d accord sur une réglementation commune des systèmes de paiement de type M-Pesa et de permettre à ces systèmes d être utilisés dans la CAE. À cet égard il faut bien sûr souligner que cette réglementation devrait être aussi « légère » que possible et ne devrait pas entraver le développement de systèmes de paiement électroniques et par mobile.
L avantage évident de cette solution pour l intégration monétaire de la CAE est son caractère « endogène » : les ménages et les entreprises n utiliseront une monnaie « commune » (sous la forme par exemple de M-Pesa) que si elles bénéficient de l utilisation de cette « monnaie ». Par conséquent, on peut facilement imaginer que la plupart des entreprises, par exemple en Tanzanie et au Kenya commenceraient à utiliser des systèmes de paiement de type M-Pesa aussi pour les paiements transfrontaliers, tandis que par exemple les ménages au Rwanda préfèreraient un autre système de paiement.
L union monétaire « par le haut » limite la concurrence monétaire. Cela ne devrait jamais être l objet d une réforme monétaire. Par ailleurs, la déréglementation (et la réglementation commune à la CAE) des systèmes de paiement mobiles renforcera la concurrence monétaire et est susceptible de mener à une forme plus efficace d intégration monétaire. En d autres termes, pourquoi ne pas laisser le marché décider de la taille optimale de la zone monétaire ?
Si la CAE veut toutefois créer une monnaie commune, elle devrait opter pour une solution de « monnaie parallèle » dans laquelle les monnaies nationales sont maintenues et la monnaie commune est créée en tant qu « unité de compte » commune. Elle pourrait prendre la forme de ce que George Selgin a appelé une monnaie quasi-marchandise, pour laquelle la base monétaire est augmentée à un taux annuel fixe, par exemple 5 ou 10% sur la base d un algorithme électronique automatique. Il serait naturel que les fournisseurs privés de systèmes de paiement de type M-Pesa utilisent cette unité de compte commune comme unité de référence de comptabilité.
Voilà une suggestion pour une intégration monétaire « privatisée » en Afrique de l Est. En cas de succès elle conduirait à l intégration monétaire en Afrique de l Est et réduirait considérablement les coûts de transaction des transactions transfrontalières, ce qui est exactement le but de la proposition de la CAE pour l union monétaire, mais elle permettrait d éviter les problèmes associés au manque d intégration économique et politique.
Lars Christensen est analyste économique à la Danske Bank et anime le blog The Market Monetarist.
L utilisation du terme M-Pesa n est pas une promotion de la marque de la part de l auteur. La présente version française est une traduction éditée de l original.
(1) « Are Proposed African Monetary Unions Optimal Currency Areas? Real and Monetary Policy Convergence Analysis ». Disponible ici.