Un récent article de Think Africa Press brise le tabou et expose le lien croissant entre la traite des êtres humains et certaines croyances liées aux conceptions de la sorcellerie. Quel est le rôle de la sorcellerie dans le contexte africain contemporain ? Quel est l'impact potentiel de sa pratique sur les communautés et individus ? Comment et pourquoi ces croyances peuvent entretenir la traite des êtres humains et en inhiber les poursuites ?
La traite des êtres humains est un problème mondial reconnaissable et croissant. L'Organisation Internationale du Travail (OIT) estime qu en 2012, le nombre de victimes du travail forcé atteignait les 20,9 millions de personnes, dont 3,7 millions en Afrique.
Plusieurs facteurs contribuent à cette augmentation du nombre de victimes de la traite notamment la pauvreté, les conflits internes et externes, le manque d'accès à l'éducation et même certaines croyances culturelles. La sorcellerie reste une réalité sociale et culturelle qui joue un rôle substantiel dans la société africaine.
A bien des égards, elle façonne les structures sociales et les processus de pensée, pouvant entraîner des résultats tant positifs que négatifs. Cependant, la sorcellerie relève aussi de la déformation de croyances qui jouent un rôle conséquent dans la promotion de l'abus et de l'exploitation des enfants et des adultes vulnérables au trafic des êtres humains, agissant également comme un obstacle à la prévention de la traite des Hommes et aux poursuites associées.
Société africaine, peurs, chasses et exorcismes
Un Protocole des Nations Unies visant à prévenir la traite des personnes a été adopté en 2000. Il définit la traite des personnes comme « le recrutement, le transport, le transfert, l hébergement ou l accueil des personnes par n importe quel moyen pour du travail ou des services forcés, l esclavage ou des pratiques similaires à l esclavage, la servitude ou l ablation des organes. ». Cependant, les nouvelles normes internationales définissent la traite des êtres humains en fonction de l'exploitation de la victime, non pas par leur transit. Ainsi, alors qu'une personne peut être victime de la traite à l'étranger et à travers les frontières, une victime de la traite peut également être celle qui est exploitée dans son emplacement actuel.
Les problèmes liés à la sorcellerie ne proviennent pas de la croyance elle-même, mais d'une « perversion d'un système de croyance qui est par ailleurs bénigne », explique Elizabeth Willmott Harrop dans un article publié par l organisation Liberty and Humanity. Le rôle négatif potentiel de la croyance en la sorcellerie se produit souvent lorsque les croyances sont mal comprises et perverties à des fins personnelles. Dans ces cas, les résultats peuvent être dévastateurs et peuvent contribuer à ce que des personnes commettent des actes terribles de violence contre des victimes non consentantes, et peut alors conduire à l'exploitation voire la mort.
Plusieurs exemples étayent la façon dont les croyances peuvent être déformées pour justifier d actes odieux (voir encadré).
Encadré : Récents actes criminels découlant de croyances occultes
Série de meurtres et de mutilations en 2009 en Tanzanie et au Burundi. Plus de 50 albinos avaient été tués pour des parties de leurs corps (considérées comme ayant des propriétés magiques) destinées à être utilisées dans des rituels de sorcellerie n vue de favoriser la guérison ou d augmenter la puissance.
En 2009, à Eket au Nigeria, un enfant de 9 ans a été accusé de sorcellerie par un pasteur local. Afin de l exorciser, sa famille l a forcé à boire de l'acide qui a détruit son corps, causant sa mort lente et douloureuse.
En 2006, au Congo, des enfants se sont vus infligés des sévices corporels et psychologiques, des jeûnes prolongés et des opérations physiques pour extraire le « Kindoki » de leurs entrailles, l'appellation par laquelle on désigne le diable en RD Congo. Le concept de Kindoki a été développé à partir du christianisme extrémiste, combinée avec de la sorcellerie et des croyances traditionnelles.
Ce phénomène se manifeste dans le nombre croissant des accusations de sorcellerie à travers l'Afrique subsaharienne. Les accusés sont alors supposés être possédés ou sous influence de sorciers ou de mauvais esprits. Ils sont ensuite soumis à une variété d'horreurs et de rituels violents afin d'exorciser le mal. Ces rituels incluent, entre autres, la faim, les coups, le viol, l'emprisonnement et l'abandon (dans le cas des enfants) et & le trafic.
« Là où autrefois cela était simplement une façon de conjurer le mal, il s agit désormais d un dispositif pour perpétuer la croyance que certains enfants sont possédés par une puissance maléfique qui doit être exorcisée », indique Elisabeth Harrop dans le rapport de Liberty and Humanity.
La « sorcellerie infantile » en Afrique, cependant, n'est pas une tradition africaine ancienne, mais seulement un phénomène moderne qui a pris de l'ampleur au cours des dernières décennies, démontrant la distorsion des croyances culturelles traditionnelles. Les pasteurs qui font la encouragent la croyance en la sorcellerie infantile sont accusés de le faire uniquement pour des gains financiers ; on dit d eux qu ils facturent des frais pour la « délivre » des enfants du mal. Selon l UNICEF, le « bénéfice d'une cérémonie de délivrance, ainsi que d un service régulier » ne sont pas négligeables. Pour ces prophètes ou pasteurs, « détecter » les enfants sorciers n apporte pas seulement de l'argent, mais aussi un certain statut social les rendant populaires et attirant de nouveaux membres et clients, donc davantage de revenus. En d'autres termes, la « chasse aux enfants sorciers » est une activité lucrative.
Asservissements spirituels pour faciliter le trafic des personnes
L'impact négatif de la croyance sorcellerie et son rôle dans la société sont de plus en plus liés à la prévalence de la traite des êtres humains. Un reportage de la chaîne Aljazeera a mis en exergue un aspect de la sorcellerie, appelé juju, venant de croyances culturelles le plus souvent trouvées en Afrique occidentale. Il est spécifiquement lié au problème de la traite. Juju est un rituel consistant à « prêter serment » que les trafiquants utilisent la puissante arme de la coercition. Dans le cas de beaucoup de victimes, les serments juju sont utilisés pour asservir la victime au trafiquant dans le monde spirituel ; ce qui permet aux trafiquants de contrôler psychologiquement les victimes et de s assurer qu ils sont respectés.
Un exemple de cette pratique est le cas de jeunes filles qui, cherchant désespérément une échappatoire à la misère, sont victimes de la traite vers l'Europe. Avec la fausse conviction qu un emploi lucratif les y attend, beaucoup d'entre elles contractent des dettes massives auprès de gangs du crime organisé qui paient leurs frais de déplacement, révèle le reportage d Aljazeera. Le rituel de prestation de serment juju engage les jeunes filles à rembourser leur dette sous peine de représailles physiques et / ou mentales. Le remboursement des dommages implique généralement la servitude forcée.
Il est également prouvé qu'un nombre croissant d'enfants sont victimes de la traite vers le Royaume-Uni, où leur sang, pris de force, est utilisé dans les rituels juju, selon des faits rapportés par la BBC. Les trafiquants menacent les enfants de mort ou de malédictions s ils essaient de résister ou défendre.
L'utilisation de la sorcellerie non seulement enlace victimes, mais rend également extrêmement difficile d'arrêter, de poursuivre et d arrêter les trafiquants. Même si l'OIT estime qu'il ya 3,7 millions de victimes de la traite de personnes en provenance d'Afrique à ce jour. En 2011, il y avait moins de 300 poursuites et condamnations pour la criminalité en Afrique, et à peine 10.000 victimes ont été reconnues.
La peur des représailles découlant des serments forcés prêtés par les victimes et l'abus qu'elles ont subis durant leur capture rend les victimes incapables de faire confiance à leurs sauveteurs et d identifier leurs ravisseurs.
Briser le tabou pour en finir
Les victimes ne se sentent souvent pas en mesure de témoigner contre les trafiquants présumés, en raison de la peur de violer leur serment et d inviter le malheur dans leur vie. Une autre partie du problème, c'est le silence qui entoure les rituels.« Bien que juju soit largement admis, il est rarement évoqué publiquement. Les gens pensent que ne serait-ce que parler du juju pourrait conduire à ce que quelque chose de mal leur arrive » Selon le détective surintendant en chef, Richard Martin, directeur de l'exploitation humaine auprès de la London Metropolitan Police, « Bien que juju soit largement admis, il est rarement évoqué publiquement. Les gens pensent que ne serait-ce que parler du juju pourrait conduire à ce que quelque chose de mal leur arrive ». Ce silence rend très difficiles les enquêtes sur les crimes et les poursuites à l encontre des auteurs.
La construction de la sorcellerie est une question difficile à définir et à comprendre, et les croyances liées aux pratiques culturelles continuent d'évoluer dans les pays africains, façonnant et modifiant la structure sociale et les comportements à tous les niveaux de la société.
Par nature ambiguë, la sorcellerie et l'évolution constante du concept et des pratiques expliquent la difficulté de compréhension et de recherche. Toutefois, le lien entre la sorcellerie, telle qu'elle est actuellement comprise dans le discours occidental, et la traite des êtres humains, en particulier en Afrique occidentale, est de plus en plus évident. Il est important de rappeler que la sorcellerie et ses pratiques ne sont pas nécessairement négatives, mais quand les croyances sont détournées, elles peuvent perpétuer des problèmes graves comme le trafic.
Plusieurs organisations continuent de surveiller le lien entre le trafic des personnes et la sorcellerie, et d entreprendre des études quantitatives visant à trouver des moyens de la combattre.
Au Nigeria, Stepping Stones fait état de plusieurs mesures générales que les communautés et les gouvernements peuvent utiliser pour aider à prévenir la traite des êtres humains liée aux pratiques de sorcellerie, y compris la sensibilisation du public, la promotion de l'éducation, le renforcement des partenariats et la coopération de la communauté, l'établissement d'un système juridique et pénal solide à l encontre des trafiquants, tout en se concentrant sur le développement économique et social pour lutter contre l'abandon des enfants.
A Bangui, cette année, des journalistes ont été formés à la lutte contre la traite des personnes à l initiative de l ONG International Partnership for development (IPDH), en partenariat avec le Réseau des journalistes pour les droits de l homme en Centrafrique (RJDH), en vue de leur faire comprendre que le phénomène existe dans la société centrafricaine et doit être combattu.
Un pas en avant, certes, mais il est clair que davantage doit être fait. La sensibilisation doit continuer.