Le scandale de la viande de cheval qui a récemment secoué l'Europe a permis de montrer comment l'analyse ADN pouvait améliorer la surveillance et la sécurité des denrées alimentaires.
La plupart des pays africains n'ont pas encore adopté cette technologie malgré son immense potentiel à la fois pour garantir un étiquetage correct des aliments et lutter contre le commerce illégal des produits animaliers.
Des projets financés de l'étranger s'attèlent déjà à introduire ce concept en Afrique. Mais l'adhésion locale, en particulier celle des gouvernements et des forces de maintien de l'ordre, sera essentielle dans l'exploitation de cette technologie pour le bien des populations africaines et la préservation de la faune locale.
Des hamburgers à la viande d'âne
Une chose est certaine : la tricherie en matière d'étiquetage de la viande ne se limite pas au continent européen. Le mois dernier, la sonnette d'alarme a été tirée pour les Sud-africains lorsque des scientifiques ont publié une étude réalisée l'an dernier montrant que 68 pour cent des 139 produits carnés transformés vendus dans les magasins et les boucheries du pays contenaient des espèces non mentionnées sur l'étiquette.[1]
Le porc et le poulet sont les viandes 'surprise' qui ont été le plus souvent détectées dans les échantillons, mais les scientifiques ont également retrouvé des traces de viande d'âne, de chèvre et de buffle d'eau dans les échantillons testés de hamburgers à la viande hachée et de saucissons. .
Les résultats de l'étude pourraient poser à l'industrie de la viande sud-africaine un défi comparable à celui auquel l'Europe fait face. Nombreux sont les Sud-africains qui ne mangent pas de porc pour des raisons religieuses ou de santé. Certaines espèces animales, comme les chevaux, sont très souvent traités avec des produits vétérinaires qui peuvent être nocifs pour les êtres humains.
Vaincre le commerce illégal de viande de brousse
Cependant, eu égard à la hausse des prix des denrées alimentaires qui touche les Africains démunis, un certain nombre de personnes seraient prêtes à manger de la viande d'âne dans leur hamburger, à condition que son prix soit abordable.
L'autre défi, plus urgent, que l'analyse ADN doit relever sur le continent est probablement la lutte contre le commerce illégal de la viande et de produits tels que les cornes prélevées sur des espèces menacées d'extinction.
Le commerce de la viande de brousse est un danger pour plusieurs espèces. En Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, il s'agit notamment de primates comme les gorilles, les chimpanzés et les bonobos. Sur l'île de Madagascar, des espèces de lémuriens menacées sont abattues pour leur viande.
Ceci prive non seulement les jungles et les savanes d'Afrique de leur biodiversité emblématique, mais accroît aussi le risque de transmission des maladies des animaux aux êtres humains. Les grands singes d'Afrique peuvent être porteurs du virus Ebola, et les scientifiques sont convaincus que le VIH a d'abord été détecté chez des êtres humains qui manipulaient de la viande de primates infectée par des virus de l'immunodéficience simienne, la version non humaine du VIH.
Partout en Afrique, des populations de rhinocéros sont exterminées à cause de la demande importante de poudre de leur corne à laquelle les gens, dans certaines régions d'Asie, prêtent des propriétés thérapeutiques '. Pour l'année 2013 et jusqu'à aujourd'hui, rien qu'en Afrique du Sud, plus de 1100 rhinocéros ont été abattus.
Poser les fondations
L'utilisation de l'analyse ADN a été testée avec succès dans plusieurs pays africains comme moyen de lutte contre le commerce illégal de viande de brousse et d'animaux sauvages.
En 2011, des scientifiques du Nigéria, du Portugal et de la France ont réalisé une étude sur la viande de brousse vendue sur les étalages le long des routes au Nigéria, et découvert de la viande d'espèces rares d'antilopes, de singes et d'aulacodes , pour ne citer qu'elles.[2]
En outre, 'l'année dernière, dans le cadre de ses études doctorales, la Tanzanienne Stella Bitanyi a mis au point des techniques de génétique moléculaire capables d'identifier des espèces herbivores sauvages vivant dans la partie tanzanienne des plaines du Serengeti. Elle a ainsi retrouvé de la viande d'éléphant et de girafe sur les marchés tanzaniens de viande de brousse. [3]
Bien que ces projets constituent la preuve de l'efficacité des techniques d'ADN, elles ne sont pas encore communément utilisées comme outil de répression des infractions contre la faune sauvage et la réglementation du commerce de la viande de brousse, surtout hors d'Afrique du Sud.
L'un des obstacles à l'application de cette technologie tient au fait que les équipements d'analyse coûtent cher et ils ne sont par conséquent pas disponibles dans la plupart des pays africains. Dans l'étude de Bitanyi, il a fallu envoyer les échantillons dans des laboratoires en Norvège pour être analysés.
L'autre entrave est l'absence de bases de données génétiques de référence qui permettrait d'identifier les échantillons rapidement et avec certitude.
Une lueur d'espoir
Il y a un espoir cependant que cette situation change rapidement.
Le Kenyan Wildlife Service [Service kényan de la faune] s'apprête à créer son propre laboratoire d'analyse scientifique et génétique avec le soutien financier de l'entreprise pharmaceutique Abbott Laboratories et du Taiwan Forestry Bureau [Service taïwanais des forêts]. Le laboratoire devrait entrer en service d'ici la fin de cette année.
Un projet d'un montant de US$ 3 millions financé par les Google Global Impact Awards viendra aussi renforcer les capacités d'analyse ADN sur le continent. Ce programme projette de créer une bibliothèque de référence des codes barres ADN des séquences génétiques courtes qui varient selon les espèces pour 2000 espèces menacées et 8.000 espèces étroitement apparentées ou souvent confondues avec ces dernières.
Le programme débutera avec des projets pilotes menés au Kenya, au Nigéria et en Afrique du Sud, ainsi que dans trois autres pays d'Asie et d'Amérique du Sud qui possèdent une biodiversité riche. Dans ces pays, les organismes publics seront formés à l'utilisation de la bibliothèque pour les inspections à la frontière, les poursuites judiciaires et d'autres mesures de lutte contre le commerce illégal des espèces menacées.
Toutefois, ces projets ne pourront être des succès que si les gouvernements et les services de maintien de l'ordre se les 'approprient. La protection de la faune africaine était traditionnellement perçue comme un hobby pour les Occidentaux, financée par des Européens et des Américains qui se soucient de la question.
Tel n'est plus le cas. De nombreux Africains sont investis dans la protection de leur héritage naturel, et les projets, comme le codage à barres, permettront d'accroître la sensibilisation sur le continent à notre responsabilité commune. Les gouvernements doivent se joindre à ce mouvement et prêcher la bonne parole par l'exemple.
La journaliste Linda Nordling, qui travaille au Cap, en Afrique du Sud, est spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement. Elle a été rédactrice en chef de Research Africa et collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net), Nature, etc.
REFERENCES
- [1] Food Control doi: 110.11016/j.foodcont.2013.01.008 (2013)
- [2] Wildlife Research doi: 110.11071/WR111015 (2011)
- [3] Norwegian School of Veterinary Science Illegal hunting in the Serengeti ecosystem, Tanzania: social and molecular genetic methods of combating crimes against fauna (Norwegian School of Veterinary Science, 2012)