Pour Nicholas Michael Bashour, spécialiste des politiques dans le domaine des S&T, les bailleurs de fonds doivent collaborer avec les pays africains pour mettre en place les infrastructures scientifiques essentielles.
Les pays africains veulent un soutien financier pour soutenir la recherche et l'innovation. Heureusement, dans ce domaine, il y a de l'argent pour tout le monde. Ainsi, l'Union européenne fournit plus de financement au continent africain qu'à l'Asie et à l'Amérique latine réunies, et ce continent bénéficie en outre d'un soutien supplémentaire d'organismes de recherche australiens, nord-américains et britanniques.
En conséquence, l'Afrique devrait avoir une communauté de recherche prospère. Mais malheureusement, ce n'est pas le cas.
Cela se reflète, en partie, dans les chiffres de la fuite des cerveaux. L'exode douloureux de la main-d'Suvre qualifiée s'est chiffré en moyenne à environ 20 000 professionnels par an depuis 1990. [1]
Différentes données révèlent également une réalité décevante suivant laquelle les contributions de l'Afrique à la recherche et au développement (R&D) dans le monde restent très faibles soit au total moins de 1 pour cent des investissements mondiaux dans la R&D et à peine 1,5 pour cent du total des publications scientifiques -- et sont régulièrement restées à ce niveau au cours de la dernière décennie. [2, 3] Le fait que ce rendement reste faible en dépit d'une disponibilité durable et sans doute croissante de l'aide extérieure au cours des années est préoccupant.
La principale raison de l'écart entre la disponibilité des fonds pour la recherche et la production scientifique africaine qui se maintient à une petite échelle est l'absence d'infrastructures de recherche adéquates: laboratoires, centres de traitement des données, bio-banques et autres infrastructures classiques nécessaires à la recherche, en particulier à proximité des universités.
Le fait d'injecter de manière permanente de l'argent dans la recherche africaine en ignorant les priorités que sont les investissements dans son écosystème scientifique au sens large par l'appui au développement des infrastructures se révèle être une solution à courte vue et limitée pour le rôle de l'Afrique dans la science mondiale mais aussi pour la résolution des problèmes socio-économiques du continent.
La Réévaluation des priorités
Dans la plupart des pays africains, le soutien aux infrastructures de recherche vient loin derrière celui accordé aux autres types de projets d'infrastructures, comme les transports, l'eau et l'électricité. Il peut en effet être politiquement et socialement difficile de justifier une dépense financière pour un laboratoire de recherche ou un centre de données au détriment d'une usine de traitement de l'eau.
Toutefois, eu égard à l'importance des investissements mondiaux dans la science africaine et au potentiel de croissance du continent, additionnés aux objectifs socio-économiques et aux bénéfices tirés de la R&D, le financement des infrastructures de recherche devrait être étendu et placé sur un pied d'égalité avec les financements du développement.
L'absence d'infrastructures de recherche adéquates a des implications qui vont au-delà de la productivité de la recherche. La collaboration et la coopération en science et technologie (S&T) entre l'Afrique et d'autres régions, dont l'Europe et les États-Unis, souffre de l'absence d'infrastructures adéquates en Afrique.
Pour les partenariats et les collaborations concrets entre l'Afrique et d'autres pays, les scientifiques africains sont désavantagés.
Au cours de l'atelier de promotion des partenariats en matière d'infrastructure de recherche entre l'Europe et l'Afrique, qui s'est tenu à Londres en octobre 2012, Zeinab Osman, directrice de l'Institut de recherche technologique au Centre national de recherches du Soudan, a expliqué que malgré l'accès au financement extérieur et aux échantillons biologiques recherchés dans son pays d'origine, qui lui permettent d'établir des partenariats avec des institutions à l'étranger, et en dépit de son expertise et de son aspiration à conduire plusieurs projets de recherche au Soudan, les infrastructures de recherche dans son pays sont inadéquates et ne lui permettent pas de mener à bien ses recherches.
Une solution bidimensionnelle
Des situations comme la sienne sont courantes en Afrique, où les scientifiques hautement qualifiés et bien formés ayant des liens avec les leaders, les institutions et les fonds mondiaux de recherche ont une marge de manSuvre limitée en raison de l'absence d'un écosystème de recherche adéquat.
Dans ces conditions, comment les pays africains peuvent-ils construire les infrastructures de recherche nécessaires?
La solution appropriée est bidimensionnelle: l'une, intra-africaine et l'autre, internationale. Sur le plan intra-africain, les gouvernements africains doivent élaborer des feuilles de route stratégiques à long terme pour des investissements dans la R&D incluant le développement des infrastructures.
Ce faisant, ils feront la démonstration à la communauté internationale d'un engagement réel pour la recherche scientifique, par opposition à un simple désir d'accroître les capacités de la R&D. Cela les rendra plus attractifs aux yeux de ceux qui investissent dans la science et plus susceptibles de recevoir un meilleur soutien pour le développement des infrastructures
Une telle stratégie ferait également passer les pays africains, à terme, d'une position de spectateurs passifs à celle d'acteurs responsables et proactifs dans leurs propres R&D.
Sur le plan international, la communauté diplomatique sur le continent et hors d'Afrique, ainsi que les scientifiques et les chercheurs, doit encourager les gouvernements et les organismes donateurs qui fournissent à l'Afrique une aide au développement et un financement pour la science à permettre et promouvoir l'utilisation d'une partie de ces fonds pour le développement des infrastructures de recherche. Toute stratégie en matière de S&T sur le continent devrait également inclure des investissements importants dans les infrastructures. .
Le problème de tous
Cette stratégie s'avère être une tâche ardue. Les pays donateurs, notamment les États membres de l'UE et les États-Unis, sont fondamentalement opposés à financer le développement des infrastructures de recherche en Afrique, au motif que ces infrastructures doivent être financées par les pays africains eux-mêmes.
Cependant, l'absence d'infrastructures de recherche sur le continent n'est pas un problème propre aux pays africains. En collaborant avec les gouvernements africains pour renforcer leurs capacités en infrastructures, la communauté internationale peut faire beaucoup plus dans un délai beaucoup plus réduit pour la croissance de l'Afrique et son rôle dans la science mondiale que les pays africains prendraient pour le faire eux-mêmes.
Les infrastructures de recherche animent et promeuvent la collaboration scientifique internationale et permettent de bâtir des relations internationales stables et durables. Elles génèrent des retombées sociales et économiques concrètes et peuvent même précipiter des investissements dans les infrastructures traditionnelles. Elles ne devraient pas être négligées au profit d'autres types d'investissement.
Par Nicholas Michael Bashour originellement publié sur Scidev. Nicholas Michael Bashour est un universitaire titulaire d'une bourse de recherche Fulbright-Schuman à Bruxelles, en Belgique. Il est actuellement visiteur-stagiaire à l'Institut pour l'information sur la recherche et l'assurance qualité, à Berlin, en Allemagne. Il peut être contacté à l'adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.