Six mois après la pose de la première pierre en septembre 2011, le projet de cimenterie entrepris par l'industriel nigérian Aliko Dangote a été interrompu sur son site de Douala, la métropole économique, juste en face de l'usine des Cimenteries du Cameroun (Cimencam), entreprise locale avec pour actionnaire principal son concurrent français Lafarge.
D'un investissement global chiffré à environ 57 milliards de francs CFA (117 millions USD) pour 14 mois de travaux, la nouvelle cimenterie, qui devrait permettre de briser le monopole de la production du ciment par Cimencam depuis l'indépendance du Cameroun en 1960, est confrontée à un conflit social né de la contestation de son site par les autorités traditionnelles de Douala.
En concertation avec les autorités camerounaises, Dangote Cement, filiale du holding d'Aliko Dangote consacrée à l'industrie du ciment, a acquis pour son projet une superficie de 515m de long et 20m de large avec un espace intérieur de 2.000 m2 pour une capacité de production annuelle de 1 million de tonnes de ciment, sur les berges du fleuve Wouri, qui abrite un port commercial donnant accès à la mer.
Manifestement en écho à la protestation soudaine des chefs Sawa, guides spirituels du principal groupe ethnique de Douala qui s'étend d'ailleurs à l'ensemble de la région du Littoral et des côtes sud et sud-ouest camerounaises, le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de cette ville, Fritz Ntonè Ntonè, a ordonné début mars l'arrêt des travaux de la cimenterie.
La décision a surtout enjoint Dangote Cement de "procéder au démontage de l'ouvrage et à la libération complète du site réservé aux célébrations du Ngondo", assemblée traditionnelle qui rassemble tous les ans à la veille des fêtes de fin d'année les communautés Sawa sur le site à présent querellé pour l'apothéose d'une série de festivités de promotion du patrimoine ancestral.
Pour l'heure, aucune réaction officielle du pouvoir central camerounais à Yaoundé n'a été exprimée. Seules quelques indiscrétions laissent entendre que le gouvernement est saisi du dossier et entend mener les démarches appropriées pour débloquer la situation, en vue notamment de la poursuite du chantier de l'opérateur nigérian qui livre une rude concurrence à Lafarge pour la production et la commercialisation du ciment en Afrique.
"On peut considérer cela comme un épiphénomène qui ne remet pas du tout en cause cet investissement important pour l'industrialisation du Cameroun et la mise en oeuvre des projets structurants voulus par le président de la République", a toutefois souligné dans un entretien à Xinhua le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana. Celui-ci s'est félicité d'un investissement direct étranger obtenu à la faveur du concept des Journées économiques et commerciales du Cameroun à l'étranger expérimentées par son département pour la première fois en décembre 2009 à Calabar, capitale de l'Etat nigérian de Cross Rover (Sud-est), puis en 2010 à Kano (Nord) et Port-Harcourt (Sud-est). En l'occurrence, les autorités camerounaises misent sur ce projet pour accroître la production locale de ciment, évaluée à 1, 5 millions de tonnes l'an. C'est une production fournie exclusivement par Cimencam, alors que les besoins sont quant à eux estimés à 2,5 millions de tonnes l'an, ce qui cause parfois des tensions sur le marché et oblige le gouvernement à autoriser des importations. Les statistiques officielles font état d'une croissance annuelle de 8% de cette demande. En raison d'un nombre important de projets d'infrastructures socioéconomiques en cours de réalisation, le pouvoir table sur une demande à court terme beaucoup plus grande de 8 millions de tonnes.
Avant fin 2008, Cimencam, créée en 1963 et détenue à 55% par Lafarge contre 43% par l'Etat camerounais et 2% par le personnel de l'entreprise, se limitait à produire 900.000 tonnes l'an, dans ses deux usines de Douala et de Figuil (Nord).
L'acquisition d'un nouvel équipement a fourni une capacité supplémentaire de 600.000 tonnes, ce qui en fait aujourd'hui une production totale de 1,5 million de tonnes, à en croire le management de l'entreprise. Une partie de cette production (7% selon des sources officielles) est exportée vers des pays voisins du Cameroun tels que le Tchad et la République centrafricaine (RCA) .
Mais bousculé par la concurrence avec Dangote Cement, Lafarge à travers sa filiale camerounaise Cimencam, premier cimentier mondial appartenant à l'industriel français Vincent Bolloré, s'est lancé dans un autre projet de cimenterie fin septembre 2011 près de Yaoundé, d'une capacité proche de la précédente, soit entre 600. 000 et 700.000 tonnes l'an.
Annoncée pour être mise en service en 2014, cette cimenterie comporte un investissement estimé à plus de 50 milliards de francs CFA (100 millions USD), soit une durée des travaux plus longue et un investissement (qui est prévu d'être fourni principalement par l'investisseur français) proche de celui de celui de son concurrent nigérian.
Six mois également après, rien ne filtre sur l'évolution du dossier, les services de la communication de Cimencam contactés par Xinhua ont déclaré ne pas être en mesure de fournir la moindre information, en l'absence d'une autorisation à communiquer du directeur général en déplacement. Il est toutefois établi que Lafarge est confronté à des difficultés financières abondamment relayées par la presse française, ce qui peut expliquer d'une certaine manière le délai de construction long de la future cimenterie de Nomayos, à l'entrée Sud de Yaoundé, et freine le ardeurs du gouvernement en matière de ciment. Cité parmi les entreprises les plus endettées de la cote parisienne, le groupe a subi des révisions à la baisse de son bénéfice net par action attendu pour les deux prochains exercices. Affecté par la crise économique et ses conséquences sur le secteur de la construction, Lafarge a réalisé en 2009 un résultat net part du groupe en repli de 54% à 736 millions d'euros. Le résultat d'exploitation courant accusait une baisse de 30% à 2,477 milliards d'euros, tandis que le chiffre d'affaires déclinait de 17% à 15,8 milliards. Début février, dans le cadre du secteur cimentier, HSBC a doublement sanctionné le titre Lafarge. Son conseil sur la valeur a été ramené de "surpondérer" à "neutre", et l'objectif de cours de 55 à 47 euros, le potentiel de hausse étant maintenu inférieur à 2 euros. "Les cours sont soutenus par la moyenne mobile à 20 jours mais la phase de consolidation qui se forme entre 30,5 et 32,5 euros laisse entrevoir un essoufflement du mouvement haussier", remarquait alors la société Superperformance, éditrice d'un site boursier. Vendredi en mi-journée, le cours s'efforçait de se stabiliser au-dessus de 36 euros.
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Une analyse de Raphaël Mvogo pour Xinhua