Des salons fabriqués à partir de tonneaux recyclés meublent de plus en plus de maisons à Niamey, la capitale du Niger. Dans les ateliers où se fabriquent ce mobilier, l’heure n’est déjà plus au repos et les artisans travaillent sans relâche. Lunettes noires, tenue bleue, Abdoulaye, la trentaine révolue, a le regard fixé sur le fût. A l’aide d’une scie tranchante, il le découpe en morceaux, nettoie l’intérieur et entame avec finesse et ingéniosité la fabrication du salon.
Abdoulaye et ses quatre assistants mettent trois jours pour finir un salon complet de six à neuf places à partir de trois tonneaux. "Une fois le cadre terminé, nous commandons d’autres accessoires en cuir, comme les coussins, auprès d’autres artisans afin d’assurer la commodité ; puis s’en suit la peinture et les derniers réglages", indique-t-il.
Il fait remarquer que les bordures et les accoudoirs sont polis et la surface qui est en contact avec le sol est faite de sorte qu’elle ne produise pas trop de bruit.
Visiblement très fier de ses collections, l’intéressé précise que les salons s’achètent comme de petits pains. "Nous les vendons aussitôt que nous les fabriquons ; les gens les arrachent pratiquement dès que nous les exposons en face de l’atelier", dit-il.
Selon Rahina Camara en charge de la promotion, cette initiative vise deux objectifs : "C’est d’abord une question de créativité ; mais, c’est aussi notre façon de contribuer à sauver l’environnement en recyclant les tonneaux qui sont jetés un peu partout."
Elle ajoute que "nous sommes à nos débuts, nous avons vendu d’abord quelques exemplaires sous forme d’étude de marché pour voir la réaction des populations et très vite, nous avons constaté que les gens appréciaient le produit."
Formation
Mais Abdoulaye et ses collaborateurs ne font que mettre en œuvre les connaissances acquises au cours de leur formation à l’Institut polytechnique Ipzemosa qui forme les étudiants dans la fabrication de nombreux outils et instruments à partir d’objets de récupération.
A en croire Zeini Samber El Béchir, directeur général de cette école, "l’idée est de former sur place, de consommer local, de ne pas importer des meubles, de décourager la fabrication et l’importation de matières en bois. C’est vraiment ce qui a donné le déclic".
"Ce sont les salons qui ont attiré votre attention mais nous fabriquons d’autres choses comme des lits ou des lampadaires faits à partir d’objets recyclés pour essayer d’apporter du luxe à partir de belles choses pas forcément importées et nous avons énormément de demandes", indique celui qui continue d’encadrer Abdoulaye et ses collaborateurs.
Le succès de ces meubles en tonneaux recyclés vient aussi de l’accueil que lui ont réservé les consommateurs.
Le banquier Oumarou Issoufou fait partie des clients qui font déjà l’expérience de ce nouveau type d’équipement. Assis dans un de ces fauteuils atypiques, il dit "apprécier leur originalité, leur confort et leur solidité".
“Dans les prochains jours, nous allons nous rendre chez ces fabricants pour les encourager pour cette initiative qui cadre avec la lutte contre le changement climatique et qui génère à la fois des emplois et des revenus pour les jeunes”
Ali Harouna
SG ministère de l’Environnement, Niger
Un succès qui ne laisse plus personne indifférent dans le pays. A commencer par les concurrents, en l’occurrence les menuisiers et autres artisans qui offrent des meubles fabriqués en bois.
Boubacar Amani Liman, un tapissier, estime par exemple que les salons en tonneau résistent mieux. Une appréciation qui n’inquiète pas outre mesure Abdoul Salam, spécialisé dans la l’habillage des salons en bois, qui ne pense pas que son activité est menacée de disparition.
"C’est une question de goût, dit-il. Il y a des gens qui préféreront toujours nos salons en bois, en bambou, en fer forgé, en bois local, en bois rouge ou en contreplaqué, etc."
Et il conclut : "malgré tout, je pense que c’est une très bonne chose. C’est une évolution ; surtout que souvent, nous sommes confrontés à des pénuries de planches".
Pour sa part, Issa Mamane, président du Centre des métiers d’art du Niger, formateur en maroquinerie, estime qu’il s’agit d’une innovation.
"Quand on utilise des tonneaux associés à du cuir pour faire un salon, on ne peut que saluer ces jeunes pour leur ingéniosité qui diminuera le chômage et créera des richesses au bénéfice des maroquiniers, des tanneurs et des éleveurs en général", se réjouit-il.
Indiquant que "c’est une créativité que nous n’excluons pas de présenter à la foire de la CEAO (Communauté économique de l’Afrique de l’ouest) en octobre prochain à Niamey".
Santé des utilisateurs
Pourtant, des craintes persistent quant au confort de ces meubles inédits. Ado Abalé, physiothérapeute et chef du service kinésithérapie à l’hôpital national Poudrière de Niamey fait remarquer que toutes les grandes fabriques du monde travaillent avec des ergothérapeutes qui les conseillent pour préserver la qualité et la santé des utilisateurs des salons.
"Il y a des recommandations que donnent les ergothérapeutes au niveau des grandes firmes pour que les utilisateurs n’aient pas des problèmes de dos, des arthroses, des sciatiques, des courbatures et des torticolis".
Mais, déplore Ado Abalé, en Afrique, comme ce sont de petites industries, de petits ateliers, les fabricants n’ont pas les moyens de faire appel à eux.
"Au Niger, nous ne sommes pas consultés ; or, je pense que nous pouvons bien collaborer, même si je précise que ce sont surtout les ergothérapeutes les spécialistes. Nous aussi, on pourra rappeler certains principes, par exemple une bonne flexion de la hanche, un bon positionnement des genoux afin que la colonne vertébrale soit bien droite pour éviter les courbatures et les maux de dos".
Qu’à cela ne tienne, Sani Ayouba de l’ONG "Jeunes volontaires pour l’environnement" (JVE) préfère plutôt s’attarder sur l’intérêt de cette initiative pour la protection de la nature.
"Le Niger est un pays désertique aux trois quarts ; mais où le bois est utilisé par 98% de la population pour des besoins énergétiques mais aussi à d’autres fins comme les constructions. Cette coupe abusive du bois est l’une des principales causes de la désertification", affirme ce dernier.
"Le recyclage de ces tonneaux va réduire la pression anthropique sur notre maigre couvert végétal. Il va permettre non seulement d’éviter la coupe du bois ; mais aussi de conserver les forêts qui ont la capacité d’absorber le CO2 émis dans l’atmosphère et qui est la cause principale du changement climatique", prévoit-il.
Par-dessus tout, les observateurs mettent tous l’accent sur le côté pourvoyeur d’emplois et générateur de revenus de cette activité. Car, si le prix d’un fauteuil varie entre 80 000 et 100 000 FCFA, un salon complet peut coûter jusqu’à 300 000 FCFA.
Et c’est sans doute pour tout cela que le gouvernement nigérien suit de très près de telles initiatives. C’est du moins ce que laisse entendre Ali Harouna, secrétaire général du ministère de l’Environnement et de la salubrité urbaine.
Changement climatique
Interrogé par SciDev.Net, ce dernier indique que "dans les prochains jours, nous allons nous rendre chez ces fabricants pour les encourager pour cette initiative qui cadre avec la lutte contre le changement climatique et qui génère à la fois des emplois et des revenus pour les jeunes".
"Vous constatez, poursuit-il, qu’il y a beaucoup d’entrepreneurs qui se sont lancés dans la collecte des déchets. Pour nous, c’est une initiative qui contribue à la salubrité des grandes villes ici et ailleurs. Le soutien du ministère a permis de collecter plus de 200 000 tonnes de ces morceaux de fer et autres déchets solides à Niamey et dans les autres grandes villes du Niger".
"Cependant, ce sont des tonneaux ; ils doivent faire attention pendant les travaux. Il peut y avoir des blessures graves pour leur santé", met en garde Ali Harouna.
Fier du succès de cette expérience au Niger, Zeini Samber El Béchir de l’Institut polytechnique Ipzemosa nourrit désormais de grandes ambitions.
"Il y a beaucoup de modèles des lits, de lampadaires, etc. que nous allons bientôt exposer pour le bonheur des utilisateurs. Si la demande est forte, nous prospecterons afin d’en exporter également dans les pays de la sous-région comme par exemple le Benin, le Togo, le Burkina Faso... Nous formons nos étudiants pour qu’ils aillent ailleurs, dans d’autres pays pour ouvrir les esprits sur nos designs".
Il n’a pour cela aucune inquiétude en ce qui concerne la disponibilité de la matière première.
"Il est difficile de donner des chiffres sur la quantité de tonneaux qui rentrent au Niger, vous avez les stations-service qui revendent en détails l’huile de moteur, vous avez aussi les commerçants d’huile de table et les industries minières qui importent divers produits", rassure-t-il.
Ajoutant que "le Niger étant un pays d’élevage, nous avons choisi le cuir pour l’embellissement. Tout est fait à partir de produits recyclés, de produits locaux et disponibles."