Des experts et ministres de l'Education en Afrique constatent que le système éducatif africain, dans la plupart des pays, n'arrive pas à former des femmes et hommes compétents capables de répondre aux besoins de développement du continent.
Réunis à Ouagadougou, du 13 au 17 février, pour la triennale de l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique (ADEA), ces responsables ont appelé à opérer des réformes des systèmes éducatifs susceptibles de produire des compétences et des qualifications pouvant assurer la croissance et le développement de l'Afrique.
"L'instruction permet de sortir de la pauvreté et de pouvoir se doter de compétences nécessaires pour s'insérer socialement et améliorer ses revenus, mais lorsque l'instruction ne touche pas tout le monde comme c'est le cas en Afrique, la pauvreté extrême continue de régner", déclare à IPS, Mamadou Ndoye, coordonnateur de la triennale de l'ADEA.
La rencontre qui a pris fin vendredi a appelé les pays africains à mettre l'accent sur la formation professionnelle, l'apprentissage et l'alphabétisation pour récupérer les enfants qui ont échoué à l'école classique.
Pour Ndoye, le système actuel de sélection-élimination empêche la plupart des populations d'accéder à l'école "coloniale élitiste", qui avait pour but de sélectionner les leaders de la société pour en faire les collaborateurs de la colonisation.
L'ADEA reconnaît que depuis 1995, le système éducatif africain a connu une accélération à tous les niveaux de scolarisation avec un taux de plus de 20 points dans le primaire, 15 points dans le secondaire, un doublement du taux dans le supérieur, et un taux économique moyen de 5,6 pour cent. Mais, l'association regrette cependant que le stock d'éducation reste encore insuffisant pour maintenir un cycle de croissance durable.
"Il y a une urgente nécessité de changement de paradigme, de questionner tout notre système d'éducation et de formation et de voir sa pertinence, et s'il est adapté pour les jeunes, à leur employabilité, à l'insertion socioéconomique", explique à IPS, Byll Ahlyn Cataria, secrétaire exécutif de l'ADEA.
"Dans nos pays, beaucoup de gens ont raté l'école, donc il faut qu'ils aient une deuxième chance soit avec l'éducation non formelle des jeunes, soit avec l'alphabétisation afin que tout le monde puisse trouver un boulot et vivre dignement de ce boulot", ajoute Cataria.
Par ailleurs, Ndoye déclare à IPS: "On ne voit pas aujourd'hui la majorité des pays africains atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement. On est en retard sur la scolarisation universelle et sur la parité filles-garçons".
En plus, les femmes sont plus touchées par des discriminations dans le système éducatif africain, et elles constituent 60 pour cent des analphabètes en Afrique, ajoute l'ADEA.
Selon l'ADEA, les pays qui sont le plus en avance sont certains pays d'Afrique australe (Ile Maurice, Seychelles, Afrique du Sud) et le Rwanda en Afrique centrale et orientale. Au Rwanda, le taux de passage au cycle primaire est de 95,6 pour cent, et le taux brut de scolarisation est de 96,6 pour cent.
"Lorsque ces objectifs ne sont pas atteints et tant que l'analphabétisme va régner aussi massivement, la mortalité maternelle et infantile sera importante car l'ignorance est cause des dégâts dans ce domaine", souligne Ndoye.
Il estime à quelque 48 millions le nombre d'enfants hors de l'école en Afrique, et à environ 10 millions les enfants qui abandonnent la scolarité primaire avant de l'avoir achevée. En outre, la moyenne d'éducation des populations adultes est en dessous de quatre pour cent, indique l'ADEA.
"Du point de vue de l'accès, il y a satisfaction mais là où le bât blesse, c'est la qualité. Nous amenons beaucoup d'enfants à l'école, mais au bout de trois à quatre ou six ans, ils quittent le système sans développer aucune connaissance", admet Moussa Laoula Malam, un délégué venu du Niger. Le taux de scolarisation au Niger est de 72 pour cent, dit-il à IPS.
Ndoye accuse le système éducatif et de formation, qui contrairement à celui des autres régions du monde, n'est pas le produit d'un développement interne des sociétés africaines. Le système incarne, selon lui, des valeurs imposées par le colonisateur qui entendait donner un autre cours au destin des Africains.
"Cette école s'est opposée à la société, à la culture, et avait pour fonction principale d'être un instrument de domination culturelle. Nous avons, après l'indépendance, malheureusement continué avec ce système. La rupture n'est pas fondamentalement intervenue", regrette Ndoye.
"Donc le système reste pour l'essentiel extraverti, il n'est pas au service de l'Afrique, mais au service d'une vision erronée de l'Afrique, une vision d'infériorité qu'a voulu inculquer le colon à l'époque sans aucune confiance au potentiel de l'Afrique pour prendre en main sa destinée. Voilà ce qu'il faut rompre aujourd'hui", explique-t-il.
Selon Ndoye, chaque pays doit essayer de réaliser l'éducation pour tous en fonction de ses ressources, en choisissant des modèles adaptés à ses ressources. "Si nous choisissons des modèles qui dépassent de loin nos ressources, nous allons chercher l'aide internationale comme nous l'avons toujours fait, or nous savons que l'aide va se faire rare", ajoute-t-il.